Articles

L’actualité technologique de l’été qui s’achève met, encore, à l’honneur les avancées et les inquiétudes qui entourent l’intelligence artificielle. On y parle en vrac de jeux vidéo et de voitures autonomes. Mais on y voit surtout l’occasion de rappeler une fois de plus que sans DATA, l’intelligence artificielle n’est finalement pas grand-chose.

Quand les immeubles sortent de terre…

D’abord, Microsoft Flight Simulator [1]. Le légendaire simulateur de vol est revenu cette année dans une nouvelle édition après quelques années d’absence. Et cette version permet de survoler l’intégralité du globe terrestre aux commandes de l’avion de votre choix. Pour arriver à cette prouesse – la modélisation de la Terre entière – Microsoft s’est basé sur les données géographiques disponibles dans l’Open Street Map Project [2] – un projet cartographique collaboratif mondial qui concurrence ouvertement les applications de Google et d’Apple.

Cette utilisation d’une base collaborative et open-data a permis aux développeurs du jeu de générer rapidement et à moindre coût l’ensemble des décors qui leur étaient nécessaires. Avec toutefois quelques surprises. Ainsi, les joueurs survolant Melbourne, en Australie, ont eu la surprise de découvrir dans les faubourgs de la ville une tour de plusieurs centaines de mètres de hauteur, là où n’existent dans la réalité que de bien classiques pavillons de banlieue [3]. La faute à… une faute de frappe. L’un des contributeurs d’Open Street Map aura, peu de temps avant la récupération des données par Microsoft, complété les données de ce quartier de Melbourne et indiqué que l’un des bâtiments comporte 212 étages au lieu de… deux.

Une simple erreur, certes, mais une erreur qui n’a pas été détectée par l’intelligence artificielle chargée de créer l’ensemble des décors du jeu. D’ailleurs, l’utilisation de celle-ci a également fait l’objet de critique de la part de nombre de joueurs. En effet, pour l’IA de Microsoft, un bâtiment est un bâtiment comme un autre, et un pont et un pont comme un autre, quels que soient son importance et son aspect patrimonial. Ainsi, le Palais de Buckingham à Londres s’est vu doté du même look qu’un immeuble de bureau quelconque [4], et le pont du port de Sydney a perdu ses célèbres arches [5]. Des maladresses qui seront corrigées prochainement par les concepteurs du jeu, mais qui montrent bien les limites d’une IA dans la reproduction de la diversité terrestre.

… et que les voitures freinent toutes seules

Plus inquiétante est l’expérience menée par des scientifiques israéliens au cours du mois d’août. A l’aide d’un drone équipé d’un projecteur, ceux-ci ont réussi à tromper les capteurs d’une voiture autonome de type Tesla [6]. En projetant l’image d’un piéton ou d’une autre voiture, ils ont ainsi provoqué un freinage d’urgence de la part du véhicule. Mais plus grave, en projetant des lignes au sol, ils ont réussi à faire dévier la Tesla – alors en mode autonome – de sa trajectoire initiale. On peut imaginer à partir de cette expérience tout type de manipulation de l’intelligence artificielle qui conduit le véhicule : de nouveaux panneaux, des limitations de vitesse fantaisiste et pourquoi le « masquage » de certains éléments réels de l’environnement.

Tromper les capteurs d’une voiture autonome n’est pas une idée nouvelle. Un artiste anglais, James Bridle, avait déjà imaginé en 2017 un Car Trap [7], un cercle qui prendrait au piège les véhicules autonomes et les empêcherait de s’échapper. Une vue d’artiste qui révèle les lacunes du système.

Une IA, ça ne doute pas

Ces deux expériences ne sont que des extraits de l’actualité qui a entouré l’IA au cours des derniers mois. Elles ne reflètent pas, par exemple, les progrès enregistrés par les chercheurs dans les domaines médicaux grâce aux programmes d’intelligence artificielle. Mais, sans invalider la notion même d’IA, elles nous font nous poser quelques questions cruciales pour la maîtrise de cette technologie qui semble appeler à dominer nos vies.

Qu’est-ce qui fait, pour une intelligence artificielle, la véracité d’une donnée ? Le moteur de rendu de Microsoft Flight Simulator ne s’est pas posé la moindre question avant de représenter une tour de 212 étages au milieu des faubourgs de Melbourne. Pas plus que l’intelligence artificielle de la Tesla quand elle a vu apparaître une silhouette humaine face à elle. Les intelligences artificielles, tout comme les algorithmes simples, ne sont pas conçus aujourd’hui pour s’assurer de la véracité, et encore de moins de la réalité, d’une donnée. Ils sont conçus pour traiter des données en entrée et en déduire le comportement le plus adapté : quelle texture appliquer à un immeuble, dans quelle direction aller, etc.

Que se passe-t-il donc quand la donnée qui leur est fournie est fausse ? Volontairement ou non. Quand une erreur s’est glissée dans un fichier ? Quand une manipulation a été faite avec une intention peu louable ? Ou simplement lorsqu’une information est manquante et que la Data ne permet pas une prise de connaissance complète de l’environnement ?

Et l’état, les intelligences artificielles dont on parle régulièrement ne détectent bien souvent pas ces erreurs ou ces manipulations – sauf si elles sont conçus spécifiquement pour cela comme celles qui traquent au quotidien les deepfakes [8] – même si elles mènent à des aberrations. Une IA, par définition, ne doute pas. Il est donc crucial, à mesure que les algorithmes prennent de la place dans notre quotidien, de savoir qui maîtrise la réalité et de s’assurer – faute d’instiller du doute chez les robots – de la fiabilité de toutes les informations utilisées par nos futurs systèmes.

La leçon vaut pour tout système qui entend traiter automatiquement de l’information. A l’heure où il n’a jamais été aussi facile de créer du contenu – qu’il s’agisse de faux profils sur les réseaux sociaux [9] ou de faux articles dans les revues scientifiques [10] – et parfois d’articles créés à l’aide d’une intelligence artificielle [11] – il convient d’être de plus en plus prudent avant d’affecter un traitement à une données. La vérification des données, mais également leur certification, doit devenir un point crucial de la politique numérique des entreprises. A défaut, aucun déploiement d’intelligence artificielle ne pourra se faire sans danger.

Alors, si vous ne voulez pas rater la révolution de l’IA, commencer par maîtriser celle de la DATA.

A retenir.

Blockchain ? Si la technologie fait beaucoup parler,
les applications réelles tardent à venir.
On fait un point et on décrypte ?

6 mn de lectureBlockchain ? Depuis plus de deux ans, on nous promet la révolution… et pourtant les applications concrètes de cette technologie tardent à venir. Si la démystification du modèle a fait son chemin, il reste à imaginer les façons d’intégrer la Blockchain ailleurs que dans le système bancaire. On explore quelques pistes ?

Block-quoi ?

Sans entrer dans les détails, on peut en résumer le principe comme étant celui d’une base de données distribuée, sécurisée et inaltérable.

Une base de données ? La base de la Blockchain, c’est bel et bien une base de données, chargée de stocker des informations sur un produit, une personne… Cette architecture n’est bien entendu pas destinée à remplacer les données propres d’une entreprise, mais plutôt à en faciliter le partage ou en sécuriser l’accès via des normes de développement et de maintenance très spécifiques. Mais dans sa conception de base, la Blockchain reste une base de données.

Une base de données distribuée ? La différence de base de l’architecture Blockchain est de ne pas stocker l’information en un endroit unique, mais de la distribuer sur une architecture PeerToPeer, c’est à dire qu’un ensemble de machine synchronisées entre elles gardent une trace de l’information de base et garantissent la fiabilité de celle-ci en temps réel… On rapprochera ça de l’architecture DNS en charge de la correspondance entre les noms de domaine et les adresses IP des serveurs – les puristes excuseront les raccourcis.
Cette architecture distribuée offre deux grands avantages :

  • Elle permet d’abord une plus grande fiabilité technique, dans la mesure où la data n’est pas dépendante d’un prestataire mais stockée de manière répliquée sur des milliers de serveurs… De cette façon, l’information est fort logiquement disponible rapidement partout dans le monde, et la synchronisation des serveurs permet d’éviter une altération de la donnée (volontaire ou non) à un moment précis.
  • Elle permet également de donner accès à plusieurs intervenants différents (entreprises, associations, organismes de certification…) à la même donnée sans pour autant ouvrir les portes en grand au système informatique de l’entreprise. L’architecture technique peut alors être envisagée comme support au développement d’une plateforme de traçabilité dans une industrie ou de gouvernance de l’information au sein d’une corporation… On y reviendra un peu plus loin.

Une base de données distribuée et sécurisée ? Aucune donnée n’est stockée en claire dans une architecture Blockchain, tout est cryptée. Et ne peuvent avoir accès à une certaine information que les programmes (et donc les acteurs) qui possèdent la clé de cryptage de cette information précise et ont dont l’autorisation de la consulter ou de la modifier. Encore un point qui répond aux demandes de collaboration entre entreprises.
Ce cryptage permet également de laisser de côté quelques-unes des questions relatives au stockage des données personnelles, puisque dans une gouvernance « normale » de la Blockchain, aucun acteur n’a accès à l’intégralité des données et un profil utilisateur complet ne peut être reconstitué.

Une base de données distribuée et sécurisée et inaltérable ? Les protocoles de la Blockchain, son architecture distribuée et son modèle de cryptage/gouvernance. Dans la Blockchain, on ne peut pas effacer une information, on peut en changer le statut ou les droits d’accès, mais jamais l’effacer. Cela pose d’ailleurs quelques soucis quant au droit à l’oubli, mais c’est fondamental dans le fonctionnement du système global. De plus, tout historique de changement (quoi, quand, par qui…) est conservé et traçable.

On ajoutera au passage que la Blockchain est avant tout une architecture et non pas une norme, même si des discussions avec l’Afnor [1] ou ISO sont en cours pour réellement obtenir un cadrage international et différentes certifications autour de sa mécanique.

Des applications avant tout industrielles

Et concrètement, qu’est-ce qu’on fait avec cette nouvelle architecture ? Les annonces ont été extrêmement nombreuses autour de la technologie BlockChain au cours des dernières années, mais peu d’applications concrètes existent réellement. On est aujourd’hui dans l’overdose de communication, chaque acteur d’un secteur essayant d’occuper un maximum le terrain avant ses concurrents, plus que dans le déploiement des applications pratiques.

Seule application actuelle : le Bitcoin [2]. Cette monnaie virtuelle lancée il y a quelques années repose sur l’architecture de la Blockchain – elle en est même à l’origine – pour assurer la traçabilité et la certification des transactions effectuées entre ses utilisateurs. Au-delà de ça, beaucoup d’annonces et peu de déploiement… Pourtant, on peut imaginer de nombreux usages.

Pour extrapoler sur le concept de traçabilité lié au Bitcoins, certains travaillent notamment à l’utilisation de la Blockchain pour la traçabilité alimentaire : c’est à dire stocker l’information des éleveurs, abattoirs, chaînes de transformation et distributeurs sur une architecture commune et donner la possibilité d’associer une escalope de dinde à un éleveur ou à un animal en particulier. Il peut s’agir là d’un enjeu sanitaire (traçabilité des aliments), voire de gouvernance politique sur une filière industrielle qui utilisent aujourd’hui des données et des outils hétérogènes pour sa traçabilité. Il peut s’agir également d’un enjeu de communication envers le consommateur visant à lui expliquer l’histoire d’un produit et tout le savoir-faire qui a contribué à sa fabrication.

Dans le domaine de la traçabilité, et de la certification des transactions, certains secteurs sensibles de l’économie mondiale comme l’industrie pharmaceutique [3] ou chimique semblent particulièrement enclins à déployer des solutions de type BlockChain. La traçabilité d’un lot de médicament par exemple, et l’assurance que le possesseur de la boîte est bien le dernier interlocuteur identifié dans la « chaîne » peut rassurer sur la véracité d’un produit. La lutte contre les contrefaçons passe aussi par la traçabilité des interlocuteurs.

Autre champ d’exploitation, le futur règlement européen de stockage des données personnelles (GRDP) [4]. Ce règlement impose qu’un utilisateur puisse prendre connaissance de toutes les données personnelles qu’il a semé un peu partout et révoquer « facilement » le droit d’exploitation de ces données aux éditeurs. Ce règlement impose également que ces droits soient traçables et auditables par des organismes indépendants… Entre autres dispositions bien entendu, telle la nomination d’un Data Protection Officer au sein des entreprises… L’architecture Blockchain peut répondre, sous certaines conditions, à certaines de ces dispositions et permettre d’envisager l’architecture Data du futur. A l’heure où la donnée client s’annonce comme le « carburant du futur » pour l’économie mondiale, les architectures décentralisées peuvent avoir un rôle à jouer dans une plus grande sécurisation de cette richesse.

Encore ? La donnée industrielle peut être un champ d’expérimentation rêvé pour les technologies de BlockChain. Encore une fois, la facilité de l’architecture BlockChain à se déployer sur des workflows sécurisés peut en faire un modèle d’architecture pour le suivi des outils de production ou le monde des transports. Un suivi des données de différents capteurs ou des compte-rendu d’interventions sur un réseau de métro peut par exemple bénéficier de l’architecture BlockChain pour dialoguer avec des prestataires extérieurs – professionnels ou amateurs – de manière normalisée. Plus prosaïquement, la SNCF envisage également l’exploitation de la Blockchain pour la vente ou l’échange de billets de train en Peer-to-Peer [5].

Bien entendu, la BlockChain est un outil « technique » avant tout et ses déploiements sont avant tout pensés en termes d’architecture. Mais son déploiement pourrait avoir également un impact sur la façon dont le consommateur accède à l’information, et surtout à quelle information : centralisée, consolidée, certifiée. Peut-être une nouvelle révolution Data ?