Alors que les mois passent et que les nouvelles versions se succèdent, les promesses de l’intelligence artificielle sont toujours aussi nombreuses. Les algorithmes génératifs semblent promis à remplacer les rédacteurs, voire les journalistes – il existe ici ou là des sites Web se voulant d’actualité dont les articles sont entièrement rédigés par des programmes informatiques – mais également les graphistes, illustrateurs et photographes, les analystes Web, et par la même occasion l’ensemble des professionnels de la communication et du marketing.

Un grand remplacement donc. Mais qui jusqu’ici ne semblait s’en tenir qu’aux professionnels du B2B, et qu’aux services vendus entre entreprises. Quelques voix toutefois commencent à s’élever, réclamant l’usage étendu des IA auprès du grand public. Un article le clamait récemment : « L’intelligence artificielle pourra gérer 95% des interactions des entreprises avec leur clientèle. » Il ne s’agit plus ici de remplacer quelques profils en agence, mais bien de se substituer aux conseillers ou aux agents des call-centers, ou aux vendeurs en boutique, comme on a remplacé les caissières par des machines dans les supermarchés. Le mouvement n’est certes pas nouveau sur le Net : les préhistoriques pages de FAQs, et les arbres de décision simplistes des chatbots ou des robots vocaux avaient déjà bien étrenné la promesse d’une automatisation de la relation client. Mais elle était sans commune mesure avec cette promesse de 95% des interactions – pas uniquement des requêtes avant-vente – que les intelligences artificielles pourraient traiter.

Alors, est-on réellement prêt à se faire servir par des robots ?

C’est plus compliqué que ça

Comme souvent quand il s’agit d’innovation et de technologie, la réponse est complexe. Et si les promoteurs de l’intelligence artificielle avancent ce chiffre des 95% des interactions prises en charge, c’est qu’ils se basent avant tout sur une croyance : celle que les questions posées par les clients sont toutes les mêmes.

Horaires d’ouverture, délais de livraison, montant des frais de port ou composition d’un produit… il est sans doute vrai qu’une écrasante majorité des informations recherchées par les internautes semblent finalement assez similaires. Et surtout assez simples. Et cette apparence de simplicité, c’est également ce qui sous-tend une bonne partie de la digitalisation des services depuis maintenant une bonne dizaine d’année. Pourquoi mobiliser une personne à un guichet quand une simple fiche – ou un robot – peut très bien assurer cette tâche ?

Le problème, c’est que sous cette simplicité apparente se cachent une multitude de contextes et d’exceptions qui rendent les réponses aux questions simples souvent un peu moins évidentes qu’on ne le croit. Qu’il s’agisse d’une question d’urgence, de handicap, de situation personnelle, de compréhension des réponses, de délégation de service, de moyens… chaque question simple dépend d’un contexte qui lui est propre et qu’aujourd’hui peu de systèmes automatisés peuvent traiter. Simplement parce qu’aucun système automatisé n’est pensé pour traiter des exceptions.

Pour preuve ? Testez donc le chatbot de votre assureur, la boîte vocale du service après-vente de votre boutique d’électroménager, ou l’assistant digital de votre compagnie de chemin de fer. Et voyez au bout de combien de temps vous serez finalement redirigé vers un conseillé humain, ou au bout de combien de temps vous vous énerverez contre la machine… Si cela arrive, c’est que votre cas est une exception.

Et c’est sans compter les pannes et les bugs, de la conception à la maintenance, qui rendent parfois l’usage d’un système automatisé pour le moins aléatoire, et parfois lui-même handicapant.

Caricature où une personne se voit intimée une procédure en ligne compliquée pour acheter un billet de train. « Just what part of “easier and more convenient” don't you get? »

La simplicité annoncée des solutions digitales ne l’est en fait que pour les cas les plus simples eux-mêmes, ceux qui justement ne prendraient pas de temps à traiter en dehors de la sphère digitale. Et l’intelligence artificielle ne changera vraisemblablement rien à cette affaire. Si les IA s’emparent demain de la question de la relation client, il est possible qu’elles étendent à la marge la couverture actuelle des assistants numériques… mais pour des sujets simples qui ne demandaient déjà pas au départ beaucoup de performance. Et surtout pour un coût technique et écologique sans comparaison avec un intervenant humain ou une FAQ.

Personnaliser et optimiser

C’est que les vrais points de progression de la relation en ligne se cachent en fait ailleurs, à deux niveaux que les intelligences artificielles peuvent difficilement atteindre.

C’est d’abord la capacité d’empathie. Chose dont les algorithmes sont bien entendu incapables et qui revient souvent dans les plaintes des usagers dès que l’on parle d’expérience digitale. L’absence d’interlocuteur humain est l’un des facteurs-clés de la dégradation de l’expérience client et le déploiement massif de solutions d’intelligence artificielle n’apportera sans doute aucune solution à ce problème. Cette question de l’empathie et de la capacité à traiter les exceptions vaut aussi bien pour les outils exposés aux consommateurs finaux que pour ceux utilisés en interne. On se souvient en effet des témoignages des conseillers bancaires américains qui, face aux algorithmes d’attribution des prêts, étaient incapables d’expliquer à leurs clients pourquoi une demande d’emprunt était refusée. Les algorithmes, s’ils sont incapables de s’expliquer sur un cas précis, et d’entendre un contre-argument, ne valent finalement pas mieux qu’une absence de réponse.

Le second levier sur lequel l’intelligence artificielle sera sans doute incapable d’agir à court terme, c’est l’optimisation continue des process. Il faut aujourd’hui toute l’expertise d’un consultant humain pour améliorer la prise en compte des dossiers clients, imaginer les nouveaux contenus et les actions nécessaires pour l’amélioration de l’expérience de ceux-ci, penser à changer la photo d’un produit, à ajouter une entrée dans une Foire aux Questions ou un type d’action à un service numérique. Pour douée qu’elle soit, l’IA ne pense que dans le cadre qu’on lui a défini et ne proposera aucune amélioration de son service ou meilleure intégration du workflow de l’entreprise.

Un outil comme un autre

95% des interactions-clients traités par une intelligence artificielle ? Si la promesse semble tentante sur le papier, elle ressemble toutefois aujourd’hui à une promesse avant tout technologique et surtout marketing qui ne correspond pas aux objectifs premiers d’un programme CRM : l’amélioration continue de la satisfaction et de l’expérience utilisateur.

Comme dans d’autres domaines, une fois la hype retombée, il est important de considérer l’intelligence artificielle comme ce qu’elle est : un outil de plus. Rien d’autre.

Et comme tous les outils, elle s’inscrit dans un écosystème déjà complexe, dans une organisation, des workflows qui répondent déjà à une partie des besoins de l’entreprise. Alors avant de céder aux sirènes de l’optimisation technologique, posez-vous la question des vrais points de faiblesse de votre relation client : est-ce un manque d’interaction ? Un déficit de contenu ? Un manque de moyen – que l’IA ne résoudra pas – ou encore des lacunes dans vos données et la personnalisation de vos messages ?

L’IA peut faire partie des réponses, mais elle ne sera certainement pas la panacée. Et surtout ne remplacera jamais un investissement à long terme dans l’humain.

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