D’abord, un petit coup d’œil dans le rétroviseur sur plus de 20 ans d’existence du monde digital et des acteurs qui le peuplent. Mais surtout, un plein phare sur la route qui nous attend, nous les agences digitales, et les défis que nous aurons à y relever. Moteur.

Nouveau western

La métaphore est usée. Déjà en 1990, quand les activistes américains s’inquiétaient d’une possible mainmise des gouvernements sur le réseau Internet, ils baptisaient leur rassemblement d’Electronic Frontier Foundation [1]. Un rappel de cette mythologie américaine de la « Frontière » : une limite artificielle entre un monde civilisé – régit par les lois – et un espace de totale liberté qu’étaient les territoires du Grand Ouest [2].

Pour eux, le Web qui balbutiait encore était ce nouvel Ouest, ce pays au-delà de la frontière, où chacun pouvait s’exprimer en liberté, prospérer ou entreprendre.

La métaphore est toujours vraie, mais l’Histoire a rattrapé l’espace numérique. Pour qui a vécu ces vingt dernières années dans le monde digital, la vie ressemble au scénario d’Il était une fois dans l’Ouest [3].

Il y a 20 ans, les pionniers créaient leurs premiers sites, leurs premiers business, profitant des opportunités offertes par un territoire vierge. Il y a 10 ans, les premières infrastructures – moteurs de recherche, réseaux sociaux, plateformes eCommerce – commençaient à se consolider, devenant des entreprises florissantes. Aujourd’hui, le Net est comparable à ces grandes cités qui ont poussé au milieu des déserts : les entreprises y fleurissent toujours, mais sous couvert des GAFA et des infrastructures mises à disposition, plus ou moins gracieusement, par ceux-ci. Le pionnier est devenu un usager. De créateur maîtrisant des outils d’expression simple, il est devenu habitant d’un gigantesque réseau de sites et de plateformes avec lesquels il interagit au quotidien.

L’Electronic Frontier des pionniers a disparu laissant place à un espace digital que l’on veut civilisé, ou tout du moins bâti et doté d’infrastructure. Et sa crainte d’un Web tombant sous la coupe des états a finalement laissé la place à une mainmise des grandes industries de la Silicon Valley.

Cette civilisation du Net n’est pas sans poser de questions sur la place de l’humain dans ce nouveau territoire.

Civilisation du Net

En même temps qu’il s’est enrichi en infrastructure, le Net s’est démocratisé. On n’avait jamais vu autant d’être humains connectés en même temps à un même outil. Il n’y a qu’à consulter les chiffres de fréquentation de certains réseaux sociaux pour réaliser à quel point le digital en tant que technologie a disparu des écrans… pour céder la place aux usages : Facebook réunit 2,2 milliards d’internautes [4], Instagram 1 milliard de photographes amateurs [5] et WeChat a également dépassé le milliard de membres [6].

Derrière ces chiffres, on est en droit de se demander si les usagers du digital comprennent les écosystèmes auxquels ils contribuent. Loin de l’esprit des pionniers et des constructeurs du monde digital, les utilisateurs actuels consomment à la surface des interfaces numériques sans savoir comment fonctionnent celles-ci, ni parfois connaître les conséquences de leurs actes et de leurs partages.

Dans un monde digital qui s’automatise, et fait de plus en plus appel aux algorithmes – et demain aux Intelligences Artificielles – l’illettrisme digital gagne en ampleur et en gravité [7].

Le mythe du Digital Native – cet enfant ayant grandi avec un ordinateur est étant naturellement doué pour la technologie – est tombé depuis longtemps [8]

Honnêteté et Transparence

Conséquence : sans connaissance des rouages, l’internaute a non seulement besoin d’interactions simples, mais également d’interfaces claires et honnêtes qui ne lui cachent ni la portée de ses actes numériques, ni la nature des acteurs avec lesquels il interagit. Mieux, d’interfaces qui l’éduquent et l’éclairent sur les réels enjeux de la société numérique actuelle. Entre Cambridge Analytica [9] et GDPR [10], 2018 aura été l’année d’une prise de conscience.

Les interactions digitales doivent aujourd’hui être conçues avec transparence, honnêteté, mais aussi simplicité et esthétisme. Pour utiliser un seul mot : elles ont besoin d’être designées.

Car les préoccupations listées sont bien dans la nature même des métiers du design : concevoir des systèmes en interactions avec l’humain qui soient à la fois pratiques, esthétiques, vrais et économiquement viables.

Théorie de l’évolution

Entre des infrastructures géantes et industrielles, et des utilisateurs pas toujours au fait de leurs actes et de leurs possibilités, c’est le rôle des intermédiaires doit se redéfinir.

Et plus particulièrement le rôle des agences digitales qui accompagnent au quotidien les entreprises dans leur apprentissage de l’univers numérique, et mettent à disposition des utilisateurs des outils, des contenus et des interfaces faisant souvent office de porte d’entrée sur le monde digital.

Autrefois parti-prenantes de la création des écosystèmes (sites Web, plateformes, intra- et extranet), les Web Agencies voient aujourd’hui leur rôle doucement muer.

Tout d’abord parce que les systèmes permettant la création de plateformes digitales se sont industrialisés. CMS, workframe et autres plateformes SAAS ont parfois rendu inutile le besoin d’un développement à façon. La présence en ligne des marques passe aujourd’hui plus souvent par l’adaptation d’une solution existante que par le développement d’une idée de zéro.

Ensuite, les audiences ses sont aujourd’hui agrégées sur quelques plateformes importantes. Ces Facebook, Instagram, Youtube, mais également certaines plateformes de contenu… regroupent chaque jour des milliards d’utilisateurs et sont devenus incontournables. Et il est souvent plus facile, et plus utile, de parler aux internautes sur ces réseaux que de tenter la création d’un nouvel espace d’échange en ligne. Il convient aujourd’hui, en digital, de s’adresser aux utilisateurs sur les espaces et systèmes qu’ils utilisent déjà.

La question posée aux agences digitales a donc changé de nature : on ne leur demande plus de créer de nouveaux usages, mais bien souvent de tirer le meilleur parti de l’existant digital. De travailler à l’optimisation des interactions digitales entre marques et utilisateurs. De constructeur, les agences sont souvent devenues des aménageurs, des architectes d’intérieur, des promoteurs…

En un mot, on leur demande désormais de faire du… Design.

Agence digitale, agence de Design

Qu’est-ce que le Design ? A en croire les définitions, dont celle de la Wikipedia, le design est la création d’un projet en vue de la réalisation et de la production d’un produit, espace, service ou d’un système. Le design se situe à la croisée de l’art, de la technique et de la société [11]. C’est bien là le rôle actuel des agences digitales.

Une agence ne crée pas seulement un site, une campagne ou un contenu, elle crée également les outils et les méthodes qui permettent à celui-ci d’exister et d’être maintenu dans le temps. Quant à la prise en compte des aspects esthétiques et techniques du Web ? Elle fait partie de l’ADN de toute agence depuis des années. Il faut faire efficace et beau, utile et agréable. C’est l’essence même du travail du Web.

C’est peut-être la prise en compte de la Société qui est nouvelle, la responsabilité qui repose désormais sur celui qui propose, crée, conçoit des outils numériques, par l’immense audience qu’il peut toucher et la part de vie à laquelle il se greffe dans notre quotidien. C’est cette responsabilité – si non sociétale, a minima humaine – qui doit désormais être présente dans l’ADN des sociétés Web.

Être concepteur des interactions digitales quotidiennes, c’est ce qui fait des agences digitales des acteurs du Design à part entière.

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