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The future is already here – it’s just not very evenly distributed.

William Gibson, auteur de Neuromancer et formidable inventeur du Cyberpunk, avant sans doute raison. Regardez bien tout autour de vous : il semble que le futur soit bel et bien là. Nous avons chacun dans notre poche une petite plaquette de plastique et de silicium digne d’un épisode de Star Trek, et qui remplace allégrement nos anciens appareils photo, atlas routiers ou guides touristiques. Et les robots que films et romans de science-fiction nous avaient promis pendant tant de décennies sont bien autour de nous. Ils se sont simplement mués en assistants vocaux et en voiture – presque – autonomes.

Mieux. On nous promet désormais des chiens-robots comme autant d’auxiliaires de police, des taxis volants pour rejoindre les plus grands évènements sportifs, et des journées entières passées un casque sur les yeux à échanger avec nos collègues de travail dans un Metavers sans limite, sans contrainte… et sans matérialité.

William Gibson avait raison : le futur est déjà là.

Mais surtout, il nous semble que désormais il arrive de plus en plus vite.

En informatique par exemple, on appelle cela la Loi de Moore. Un axiome qui stipule que la puissance de calcul des micro-processeurs double, en gros, tous les dix-huit mois. Et donc leur capacité à réaliser des opérations qu’on jugeait impossibles quelques années plus tôt. C’est ainsi que les progrès de l’intelligence artificielle – quelle que soit la technologie exacte que recouvre ce mot – nous semblent chaque jour plus vertigineux. Et que d’aucun s’inquiète – encore – d’un éventuel dépassement par les machines de nos capacités humaines. Skynet, nous voilà !

Mais surtout, cette accélération technologique constante change nos habitudes, nos usages… et également les tendances. Les comportements des consommateurs sont devenus, pour nous autres communicants, une matière instable. Les modes se succèdent à un rythme effréné (au son des derniers hits, des dernières actus ou des dernières séries populaires sur Netflix) et il est parfois difficile de distinguer derrière celles-ci les véritables tendances de fond. Alors, le Metavers, effet de mode technologique ou véritable changement dans nos interactions ?

Pour répondre à cette question, ce qu’il faudrait c’est aller plus vite que le futur. Pouvoir anticiper les futurs usages, identifier les secteurs sur lesquels la technologie va s’épanouir et surtout imaginer les changements de société qu’impliquent non seulement cette technologique, mais aussi les crises écologique, économique ou politique actuelles.

Bref. Le meilleur moyen de devancer le futur, cela reste peut-être encore de l’écrire.

D’autant que la matière première est abondante. Tout d’abord, il suffit d’un coup d’œil jeté sur les réseaux sociaux au petit-déjeuner pour trouver cent vidéos inspirantes sur la façon dont blockchain, IA ou robots vont changer notre quotidien. Ce futur brut, prémâché et technologique est à portée de portable. Mais il ne suffit pas, en l’état à écrire l’avenir. Il lui manque de la profondeur et de l’imagination.

Pour la profondeur, il faut faire appel au contexte. Aucune technologie, aucun usage n’est extérieur au monde. Tous se déploient dans un contexte politique, sociétal tantôt positif ou tantôt anxiogène. Et malgré ce que peuvent en penser les disrupteurs de la Silicon Valley, la technologie n’est jamais neutre. Pour écrire l’avenir, il faut donc connaître les tendances de fond du présent : l’angoisse écologique, la croissance des inégalités, mais aussi l’enthousiasme de la jeunesse et la liberté inédite d’échanger avec le monde entier.

Pour l’imagination, autant capitaliser sur les maîtres du genre. Depuis plus de 100 ans, nos pages et nos écrans fourmillent d’œuvres prospectives, d’univers futuristes. De science-fiction. Isaac Asimov a posé bien des bases sur l’usage de la technologique robotique. Ridley Scott a mis en image une vision angoissante, mais cohérente, de notre futur. Ces œuvres, et tellement d’autres, sont autant de clichés du futur qui nous permettent de rebondir pour imaginer à notre tour notre propre avenir, et celui de nos usages. Pour dépasser le présent.

En mêlant ambitions technologiques, tendances et inspirations, et en y ajoutant une pointe de créativité, il est possible de dessiner des futurs souhaitables ou réalistes, inscrits dans notre quotidien et dans celui des consommateurs et citoyens. D’écrire des récits, des projections qui aide à mieux identifier les possibles, à aller au-delà de la carricature et de finalement… rattraper le futur.

Et c’est sans doute notre rôle, à nous acteurs de la communication et l’innovation digitale, d’aller plus loin que la tendance et que le cliché. Et de passer par la fiction pour anticiper l’avenir.

Nous, communicants, savons déjà raconter des histoires. Elles se déploient aujourd’hui sous forme de reels sur Instagram ou de films publicitaires. Elles pourraient aussi bien, demain, aider à sensibiliser le public pour un meilleur futur.


Ce texte est issu du dernier numéro de TWELVE, magazine édité par Serviceplan Goup et qui fait le point sur les dernières tendances de la communication et du numérique. Son thème pour 2023 ?

Speed! The Winning Factor in the Digital Age.

TWELVE est consultable gratuitement en ligne et en anglais.

La « fiction du quotidien » peut-être un puissant levier au service de l’innovation et de la compréhension des usages. Loin de projeter son lecteur dans des futurs lointains, ou dans des modèles de société complexes, elle s’attache à décrire nos vies dans un avenir technologique ou écologique relativement proche. À étudier, et surtout refléter, ce que nos journées pourraient devenir, à juste une innovation d’aujourd’hui.

En 2022, Plan.Net France a accompagné le Laboratoire d’Innovation Numérique de la CNIL (LINC) lors du projet Climatopie : l’élaboration de fictions autour des futurs usages des technologies, de la protection des données privées et de l’impact du dérèglement climatique. De ce projet, mené pendant 6 mois, sont nées 6 fictions qui dépeignent nos quotidiens possibles soumis à des quotas, espionnés quant à nos consommations numériques ou face à la raréfaction des matières premières qui contribuent à notre technologie.

Mais comment sont nées ces histoires ? Retour sur un projet original par ses sources et son déploiement.

Explorer les imaginaires et écouter les préoccupations

La fiction du quotidien ne cherche pas à réinventer le monde. Presqu’au contraire. Elle s’attache avant tout à imaginer ces petites évolutions qu’apporte la technologie, et qui ont un impact important sur nos routines, sur notre vie de tous les jours. Elle s’amuse à décrire cet impact et à en tirer des enseignements sur nos futurs possibles.

Pour cela, elle se nourrit avant tout d’imaginaires, de nos espoirs et de nos craintes. Avant de vivre dans un monde technologique, nous vivons dans un monde qui parle de technologie. En permanence, et sur tous les supports. Les journaux et les chaînes d’information en continu nous exposent chaque jour aux innovations et aux nouvelles applications qui vont changer notre vie. Le cinéma et les séries nous plongent dans des mondes futuristes et dystopiques. Les romans de science-fiction sont devenus une nouvelle littérature populaire et permettent à chacun de se bâtir une paysage imaginaire riche. Une source d’inspiration quasiment inépuisable.

Nos usages quotidiens également sont une source d’inspiration. Notre relation à la technologie, quand on prend le temps de l’observer, révèle beaucoup de nos craintes et de nos envies quant à son évolution. Une simple question comme Que feriez-vous si internet disparaissait dans une heure ? permet d’imaginer bien des situations. De mettre au jour des comportements.

Ces imaginaires et ces situations sont une matière précieuse pour construire des fictions. Ce sont nos propres réactions qui, brodées sur un canevas narratif, vont donner naissance aux fictions.

Construire des scénarios possibles

De toute cette matière première, il faut faire des histoires. Imaginer des fictions.

Et comme il n’y a pas de récit sans élément déclencheur, plusieurs hypothèses peuvent être utilisées. Ainsi, dans le cadre du projet Climatopie, s’est posé la question de la mise en place de quotas autour de notre consommation énergétique ou numérique. Que se passerait-il si, une nuit, votre foyer avait dépassé ce quota autorisé ? Comment réagiriez-vous à une visite, au petit matin, de la brigade écologique chargée de faire respecter ce quota ? C’est sur cette hypothèse que s’est, par exemple, construite la fiction Visite de contrôle imaginée pour la CNIL.

Il faut rester vigilant lors de la construction de ces fictions. Le but n’est pas d’entrer en dystopie, ou de dépeindre de grands changements sociétaux. Le but de la fiction du quotidien est bien, comme son nom l’indique, d’imaginer l’impact du futur sur la vie du tous les jours. Celle-ci se concentre donc sur les témoignages directs – comme dans Payable en fumée – ou reste dans la sphère privée – comme dans Le Profil de l’emploi. On se concentre alors plus facilement sur les réactions des personnages plus que sur leur environnement. Leur comportement face à la technologie, leurs craintes et leur réflexes… ces mêmes éléments qu’on avait explorés avant d’écrire.

On garde un œil également sur la crédibilité de ces histoires. S’il est facile d’imaginer des innovations qui, finalement, existent déjà, il faut rester réaliste et subtil dans l’impact de celles-ci. Loin de la science-fiction pure, c’est à cette condition que les fictions du quotidien peuvent avoir un réel impact dans un projet d’innovation.

Plonger plus facilement dans le futur

Mais quelle utilité pour ces fictions ?

D’abord, ces fictions du quotidien possèdent une valeur illustrative forte. Dans le cadre de projets exploratoires, elles contribuent à rendre certains sujets plus tangibles, plus réels pour les publics. Imaginer une technologie, c’est bien. Mais faire comprendre à ses interlocuteurs les dangers qu’elle représente ou les bénéfices qu’elle possède passe mieux par la fiction.

De même, dans le cadre d’une étude plus académique, ces fictions permettent d’illustrer une tendance ou une préoccupation d’une autre manière que par de simples chiffres. En multipliant ainsi les niveaux, et les supports, de lecture, l’étude touche un public plus large et peut parfois parler aux émotions plus qu’à la raison. Axées sur le quotidien, elles nous touchent d’ailleurs personnellement, et nous pouvons parfois nous reconnaître dans la réaction de certains personnages dépeints.

Enfin, en impliquant collègues et partenaires, cet exercice permet de partager le temps d’un projet sur la vision des technologies de chacun. Un exercice fédérateur.

Et si vous aussi, pour 2023, vous lanciez votre entreprise dans un exercice de fiction ?