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Bousculée par le Metavers et les intelligences artificielles génératives, on avait sans doute un peu vite jetée la réalité virtuelle avec l’eau du bain de l’innovation. Il en va des tendances numériques comme des vagues sur la plage : l’une chasse l’autre. Même s’il arrive parfois que le ressac fasse s’échouer sur la grève la disruption que l’on croyait oubliée au large.

La réalité augmentée est de retour

Mais sous un autre nom. À grand renfort de keynote et de montages vidéo,  Apple a préféré inventer le spatial computing, ou l’informatique ambiante. Une innovation dans la lignée des visions traditionnelles de la SF que la Silicon Valley affectionne. Comment, en voyant cet homme debout face à son bureau et faisant défiler les onglets de navigateur dans l’espace libre devant lui, ne pas penser à la gestuelle de Tom Cruise dans le Minority Report de Steven Spielberg ? Si la presse vante à nouveau l’innovation signée de la firme à la pomme, il faut bien admettre que les imaginaires que celle-ci véhicule commence à sentir le réchauffé, voir à franchement s’essouffler. L’innovation technologique dans un écrin blanc fait-elle encore rêver ? La bourse de New-York semble dire que… non.

Reste que le Vision Pro est là, largement partagé et commenté sur le Net. Et que, comme tous les nouveaux artefacts technologiques, le monde de la communication va très vite s’en emparer pour « réenchanter le monde ». Les caricaturistes de presse, eux, n’ont pas attendu, trouvant dans la simultanéité de l’annonce d’Apple et des incendies canadiens le terreau parfait pour leur ironie : les dessins se sont multipliés, mettant en scène un couple chaussant le masque Apple et navigant dans un monde idéal pendant que son environnement brûle. Le même This is fine lui-même a été revisité pour l’occasion.

Masque et écran

C’est que le Vision Pro d’Apple a l’inconvénient d’être un masque et l’avantage d’être un écran. Et même si Apple joue de l’astuce d’un second écran pour dévoiler les yeux de son porteur, il reste un device qui obstrue la vision et nous isole de notre environnement, de notre réalité. C’est le propre d’un masque : protéger, isoler, masquer. Jusqu’à travestir – la réalité cette fois. Mais voilà, Vision Pro est également un écran, qui comme tous les écrans peut se transformer en une fenêtre sur le monde. Une fenêtre qui révèle, qui aère les esprits clos, qui rafraîchit les pensées. Oui, au-delà de la question de son prix, Vision Pro est un appareil ambigu. Comme tout appareil technologique. 

Les idées et les démonstrations des agences de communication autour du masque-écran d’Apple vont donc se multiplier dans les semaines qui viennent. Chacune avec son parti-pris créatif et stratégique. Les directeurs de création auront le choix entre deux orientations : masquer ou révéler. Créer et imaginer des usages qui enferment – ajouter de nouveaux filtres à la mode Snapchat au monde, effacer ces informations qui nous dérangent, ajouter du bruit à l’environnement – ou des usages qui feront grandir – expliquer le monde, révéler ses inégalités ou ses défaillances, éduquer.

Si la technologie n’est pas LA solution aux malheurs du monde, elle peut être un révélateur quant à la façon dont les entreprises, et notamment celles de la communication, l’appréhendent.

Surveillons donc les prochaines démonstrations, les prochains stunts,qui mettront en scène l’Apple Vision Pro, elles nous en diront un peu plus sur la façon dont le monde de la comm’ envisage les défis à venir.

(As We May Link, c’est une histoire du Web et de l’Hypertexte en 8 épisodes. Si vous avez manqué le début n’hésitez pas à reprendre au premier article, c’est ici : https://serviceplan.blog/fr/2021/09/as-we-may-link-la-blibliotheque-des-origines/.)

Cinquième épisode de notre série As We May Link. On s’était quittés la semaine dernière sur une note bien pessimiste, après avoir expliqué comment réseaux sociaux et moteurs de recherche avaient peu à peu réduit notre liberté de navigation sur le Web. Pourtant, en 2021, il est encore possible d’imaginer un avenir pour l’hypertexte, et même de nouvelles formes de navigation innovantes !  

Réalités augmentées

Quelles formes auront nos digressions culturelles demain ? En ces temps d’enthousiasme technologique, penchons-nous sur deux innovations qui changeront sans doute notre façon d’accéder aux contenus.

La première, et peut-être la plus évidente, c’est bien entendu la réalité augmentée. Si on attend toujours les applications qui rendront cette technologie réellement populaire, les expérimentations et démonstrations se poursuivent et certaines d’entre-elles sont prometteuses. La réalité augmentée commence, entre autres, à prendre ses marques dans la formation professionnelle et dans l’assistance aux salariés au sein des usines et des chaînes de maintenance, avec succès.

Se comportant comme une surcouche de la réalité, il n’est pas difficile d’imaginer comment cette technologie pourrait devenir une nouvelle version du monde hypertexte. Un peu comme un audio-guide de musée qui serait superposé au monde entier.

Bienvenue dans le supraverse

Imaginez donc : vous vous promenez dans la rue et vous pouvez savoir, quand ça vous chante, quels films ont été tournés dans cette même rue – c’est un jeu auquel s’adonne déjà quelques internautes cinéphiles. Mais vous pouvez également découvrir si des évènements importants, improbables, ou anecdotiques, y ont eu lieu. Certaines start-ups, comme SkyBoy pour n’en citer qu’une, travaillent déjà à ces concepts de Réalité superposée. Dans les solutions déployées par la start-up dans certains musées, vous pouvez ainsi scanner une œuvre à l’aide de votre smartphone et voir apparaître sur votre écran un guide qui vous en détaillera l’histoire et livrera mille anecdotes sur sa création.

Mais si la technologie d’accès à l’information est bien là, il manque encore un petit quelque chose pour faire du monde réel un vrai support d’hypertexte. Une plateforme comme Skyboy ne fonctionne que dans un parcours balisé, à l’intérieur d’un musée ou d’une exposition par exemple. Impossible de déclencher une histoire au hasard, et en passant dans la rue de connaître l’histoire du château d’en face d’une simple… pensée.

Vous l’avez deviné, la seconde technologie qui pourrait révolutionner l’hypertexte, ce sont bien entendu les implants cérébraux. Pour l’instant, on en est encore au stade de la science-fiction dans ce domaine, mais imaginez : à chaque question que vous vous posez, devant la télévision, au coin de la rue, en lisant un livre… vous n’avez plus à sortir votre smartphone pour effectuer une recherche mais simplement à penser à celle-ci. Les savoirs correspondants – images, sons, textes… – défilent alors dans votre tête… et libre à vous de vous y perdre et d’y naviguer comme bon vous semble.

Les enceintes connectées – comme Google Home ou Amazon Alexa – permettent, dans une certaine mesure d’imaginer ce type de comportement. Mais leur capacité de reconnaissance des phrases et leurs connaissances, basées avant tout sur la recherche textuelle du Web, sont encore limitées. Rien de bien naturel pour l’instant.

Des liens dans le cerveau

Dans le domaine des implants cérébraux, c’est aujourd’hui le Neuralink d’Elon Musk qui concentre les imaginaires. Le milliardaire américain a présenté l’année dernière des expériences réussies sur… des cochons. Loin de l’ordinateur cérébral de nos rêves. Les extensions du cerveau mises au point dans d’autres laboratoires se consacrent au contrôle à distance des ordinateurs et des appareils électroniques, principalement par l’interprétation des ondes cérébrales et leur traduction en instructions simples. L’objectif, dans un premier temps, étant de faciliter le quotidien aux personnes atteintes de paralysie. Mais qui sait si demain ces interfaces n’iront pas plus loin dans la compréhension de nos pensées ? Mais qu’on se base sur la réalité augmentée, les interfaces neuronales ou d’autres technologies à venir pour imaginer l’hypertexte de demain, peu importe. Cette exploration du futur nous fait prendre conscience de deux aspects cruciaux de notre relation à la connaissance : D’abord, la liberté de navigation, la possibilité d’être réellement libre dans ses errements et l’accès à l’information à n’importe quel moment – comme on clique de liens en liens sur la Wikipedia – sera clé dans notre appréhension de l’information dans le futur, afin de nous affranchir de l’emprise des GAFA. Ensuite, l’hypertexte du futur va plus loin que de simples liens textes : il se base sur des sons, des images, des sensations…un ensemble diversifié de médias que les technologies modernes vont nous permettre de partager de plus en plus facilement !

Envie de connaître la suite de l’histoire ? L’épisode 6 d’As We May link est déjà disponible :


As We May Link, c’est un voyage au cœur de l’hypertexte que vous propose l’agence de design digital Plan.Net France : 8 épisodes au cours desquels on parle de la façon dont créons des liens, des origines de l’hypertexte, des menaces qui pèsent sur lui et des opportunités que nous avons à le développer. Huit épisodes à retrouver sur ce blog, et sur les réseaux sociaux.

David mit son casque. Après quelques secondes, le temps que l’appareil démarre, il se sentit comme transporté. Cette journée qui s’annonçait pénible au bureau ne démarrait finalement pas si mal que ça. En tournant la tête, il remarqua que le soleil faisait ce matin de très jolis reflets sur les façades vitrées des immeubles. Sur les quelques centaines de mètres qui séparaient l’arrêt de bus du siège de l’entreprise, il se surpris même à faire quelques pas chassés. Il était décidément de bonne humeur… Cet appareil avait des vertus insoupçonnées et permettaient de changer l’humeur et la perception de la journée. Une sorte de réalité… altérée. En entrant dans l’immeuble, David fit un grand sourire à la fille de l’accueil.

Cela ressemble au début d’une expérience de réalité virtuelle, telle qu’une start-up des années 2010 pourrait la présenter auprès de ses futurs clients. Sauf que cette histoire pourrait tout aussi bien avoir…40 ans ! Car, si on excepte quelques expériences psychédéliques comme le fameux Bicycle Day d’Albert Hofmann, découvreur du LSD, l’invention de la Réalité Virtuelle, ou Augmentée, technologique date de 1979. Et plus précisément de là :

L’invention du Walkman par Sony en 1979, et surtout le succès de sa commercialisation grâce à des supports audio – les fameuses cassettes inventées par Philips [1] – pratiques, fiables et surtout enregistrables, a fait énormément pour la propagation de la culture digitale et le changement de la perception des médias [2].

Pour faire court, le Walkman a permis deux choses : la création de la première bulle de média personnalisée et l’apparition d’une réalité augmentée purement technologique.

L’apparition du média personnalisé

Avant l’arrivée du Walkman, comment écoute-t-on de la musique ? A vrai dire, on l’écoute surtout chez soi. La culture populaire a retenu l’image des familles rassemblées devant la radio ou celle de la platine vinyle située près du bar et du disque qu’on écoute un verre de whisky à la main après une journée de travail stressante.

La musique n’est finalement devenue nomade qu’assez tard : le poste à transistor dans les années cinquante [3] fait sortir la radio hors-les-murs, et quelques platines 45 tours ans les années soixante permettent d’emmener ses disques favoris dans le parc, le temps d’un pique-nique avec les copains [4]. Mais si la musique se nomadise, l’écoute reste collective. La radio s’écoute entre collègue, en famille… et si on peut choisir la galette de l’après-midi, c’est toute la bande qui profite du dernier Richard Anthony.

Avec le Walkman, ce qui change c’est l’individualisation de l’écoute. Ce casque aux mousses orange permet à deux personnes proches physiquement d’écouter deux musiques totalement différentes : chaque expérience musicale devient unique puisque vécue par un individu seul, et surtout isolé.

Le Walkman ne permet plus le partage de la musique et de l’expérience sonore et coupe, également, les échanges sociaux.

Est-ce que cela ne vous rappelle rien ? Les habitudes prises avec le Walkman sont extrêmement proches de celles vécues aujourd’hui avec les smartphones. Ajoutez simplement un écran et vous verrez que chacun possède désormais sa bulle d’information en plus de sa bulle musicale et que cette bulle coupe de fait les échanges entre personne en instaurant des filtres sur les contenus. Si l’on ne lit pas la même chose, ou qu’on ne voit pas le même film, difficile d’en parler ensemble.

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Sans aucun jugement, le Walkman est bien le première acte d’une personnalisation des médias, un premier clou dans le « cercueil » des médias de masse et de la consommation de groupe des contenus. Ne serait-ce que pour cela, le monde digital d’aujourd’hui lui doit beaucoup.

La première des réalités augmentées

Mais creusons plus loin. Si le Walkman est précurseur du Smartphone, il est également précurseur de l’ensemble des expériences de réalité augmentée que nous mettons en place aujourd’hui.

Vous vous souvenez de l’histoire de David ? Si sa journée a tant changé entre son réveil et son arrivée au bureau, c’est peut-être que dans ses oreilles passait Walking on Sunshine de Katrina & the Waves (oui, le morceau date de 1983, pas de 1979).

La perception que David avait de son environnement a changé par le simple ajout d’une musique…

D’ailleurs, faites l’expérience par vous-même : dans le métro, passez successivement d’un morceau triste à un morceau joyeux, par exemple d’un trio (l’opus 100) de Schubert au Love Shack des B-52’s. Continuez à observer les gens autour de vous : la perception que vous aurez de leurs actions, de l’histoire qu’ils vous évoquent, ne sera pas la même. La musique influe sur notre perception, tout cinéaste l’a compris. Elle est surtout la première des réalités augmentées.

Dans les années qui séparent l’invention du Walkman de celle de l’Oculus Go, on s’est peu penché sur le pouvoir de transformation du son. La seule mise en place concrète d’une « augmentation d’expérience » grâce au son est sans doute la création des audioguides dans les musées [5]. En fournissant une couche d’explication sonore, ceux-ci transforment une simple contemplation en une expérience éducative. Encore une fois, une réalité augmentée.
Quelques initiatives existent aujourd’hui, permettant soit d’atténuer le son extérieur [6], soit de commenter notre environnement [7]. Mais depuis le début des années 2010, les expérimentations en la matière ne semblent concerner que l’image. Facebook, Google, Apple ou encore Microsoft… tous se concentrent avant tout sur des lunettes permettant de nous emmener dans un univers parallèle ou de déformer notre quotidien. Peu se penchent encore sur le son.

Reconstruire un monde sonore

Pourtant, le son n’a jamais été autant à la mode qu’aujourd’hui : les Podcasts battent des records d’audience [8] et nos habitudes de mobilité (voiture, vélo, marche) ou nos activités physiques laissent nos oreilles libres si elles occupent nos mains. Et nos smartphones, que nous dégainons plus de 150 fois par jour, ne sont-ils pas conçus pour véhiculer avant tout de la voix et du son ?

Musique, textes, Histoire et histoires, il y a beaucoup à imaginer autour de la réalité augmentée sonore. Et si le sujet n’intéresse pas spécialement les GAFA, de nombreux projets pourraient demain changer votre quotidien avec quelques mots ou quelques notes de musique. Il n’y a finalement qu’à imaginer les dispositifs… et profiter de l’héritage fabuleux que nous a laissé le Walkman.

Lentille connecté

On parlait il y a deux semaines de la curiosité et du temps nécessaire à celle-ci [1]. Le monde digital actuel, et la façon dont il est conçu, vise à consommer notre temps. Et nombreux sont les acteurs de la Silicon Valley et les analystes à avoir pointé ces travers. Mais deux des révolutions technologiques en cour vont avoir un impact bien plus grand sur notre temps et sur la place du monde digital dans notre vie. Un impact sur notre perception même du monde réel.

La fin des écrans

Jusqu’ici, quand on pensait au monde digital, on pensait avant tout aux écrans. Nous avons commencé à expérimenter le Web grâce aux écrans des ordinateurs. Nous avons prolongé cette expérience via tablettes et smartphones. En conséquence, notre conception actuelle des interactions digitales est basée sur un ensemble de ruptures. Des ruptures de plus en plus fines et transparentes, mais des ruptures tout de même.

Il y a 15 ans, pour chercher quelque chose sur Internet, il fallait utiliser un ordinateur et prendre le temps de la connexion et de la recherche, éplucher plusieurs résultats avant de trouver l’information ou le produit que nous voulions. Et souvent, avant d’acheter quelque chose en ligne, nous devions par exemple vérifier la fiabilité du site sur lequel nous souhaitions effectuer un achat.

Il y a 15 ans, le temps digital était un temps dédié, un « Attends, je vais regarder sur Internet ».

Avec les tablettes et les smartphones, mais aussi avec l’habitude d’utilisation et la confiance en l’univers digital, ces ruptures se sont réduites. Aujourd’hui, nous avons gardé le réflexe du « Je vais regarder sur Internet. », mais ce réflexe est devenu à la fois plus rapide et nomade. Plus rapide, parce que le smartphone est dans notre poche en permanence et qu’il est facile de le sortir, le déverrouiller et de taper une requête. Nomade, parce que nous avons désormais accès à une connexion permanente, continue, qui nous permet d’accéder à l’univers digital dans la rue, le métro ou en voiture.

Les seules ruptures qui subsistent encore dans notre expérience digitale, ce sont les ruptures de l’attention et de la manipulation. Le smartphone sollicite à la fois nos mains et nos yeux et nous oblige à nous concentrer sur la manipulation qu’il impose. Le regard se pose sur le smartphone, captant notre attention et interrompant la conversation en cours. Les mains sont nécessaires pour activer les interfaces tactiles de notre téléphone, stoppant les autres actions en cours. Attention et manipulation sont aujourd’hui les frontières du monde digital – tant il est devenu naturel d’y recourir ou d’anticiper son usage dans notre cerveau. Et ces frontières sont sur le point d’être abolies.

La fin de la déconnexion

La fin de la séparation « physique » entre le monde réel et le monde digital – effet de vocabulaire, le monde digital est aussi « réel » qu’un autre – a débuté en 2011 avec l’intégration de l’assistant Siri aux iPhones. En proposant un programme permettant d’interagir par la voix, de formuler ses questions vocalement et d’entendre les réponses, Apple a réduit une des ruptures évoquées plus tôt, celle de l’attention : plus besoin de détourner le regard vers un écran pour interroger le Net et commander un taxi ou savoir qui était roi de France en 1463. La formulation de la réponse à l’oral contribue de la même façon à la continuité de l’expérience réelle. Siri se glisse dans la conversation assez naturellement.

La seule rupture reste celle de la manipulation : déverrouiller le téléphone, lancer le programme de l’assistant. Et cette seconde rupture est en train de disparaître grâce aux assistants vocaux qui vont rapidement peupler nos maisons. Les bornes Google Home ou Amazon Alexa, en restant en permanence aux aguets et en se dispensant d’écran, se glissent naturellement dans les interactions quotidiennes. Au bureau, il devient « normal » au cours d’une conversation entre collègue d’interpeller Google pour lui demander une précision. Il y a peut-être encore un peu de dérision, de digression, dans cette demande… principalement du fait que toute nouveauté technologique semble un gadget pour geeks aux premiers utilisateurs, mais les usages s’installent doucement.

L’interaction vocale devient naturelle, et porte en elle l’avènement du web ambiant.

Le web ambiant : c’est justement la fin de la déconnexion et du monde digital tel qu’on le connaît depuis 25 ans.
Avec l’avènement des assistants vocaux domestiques, le Web n’est plus un outil supplémentaire accessible le temps d’une demande, il est une couche d’information supplémentaire de la réalité, qui ajoute un degré de connaissance ou de service aux interactions quotidiennes.

Les audioguides des musées (ici au Louvre), une expérience concrète de réalité augmentée

Les audioguides des musées (ici au Louvre), une expérience concrète de réalité augmentée

Pour certains, l’audio est même la première expérience de réalité augmentée vraiment réussie et populaire. Les audio-guides des musées, en commentant œuvres et salles, répondent à cette définition d’une surcouche informative sur la l’expérience concrète, physique.

Reste, pour que la frontière monde concret / monde digital ne disparaisse concrètement à imaginer des interfaces et expériences qui iront plus loin que la voix.

Les expériences visuelles de réalité augmentée – de réalité modifiée, diminuée, altérée… quelque soit le terme employé – ne sont pour l’instant que des expériences. En cause ? Principalement les défauts d’interface des terminaux qui ne permettent pas aujourd’hui de gommer les ruptures de manipulation entre le monde physique et digital.

Il faut toujours enfiler un casque, dépendre d’une connexion, lever son téléphone ou sa tablette… Autant de gestes qui rompent l’expérience concrète et rendent l’expérience augmentée / alternative plus technologique que pratique.

Second Life, ou le fantasme de l'univers virtuel indépendant, est toujours actif depuis 2007

Second Life, ou le fantasme de l’univers virtuel indépendant, est toujours actif depuis 2007

Soyons honnêtes, les univers virtuels imaginés dans la science-fiction (Neuromancer, Snow Crash ou Ready Player One) ont peu de chance d’aboutir réellement. Les expériences réelles similaires, si elles sont restées très ludiques et geeks (Le deuxième monde ou Second Life) n’ont pas abouties principalement du fait de freins matériels : la rupture de manipulation, d’usage et d’interface nécessaire pour se projeter dans ces univers.

Et pourtant, les prototypes pratiques d’application ne manquent pas (affichage des avis des lecteurs en librairie, localisation des hôtels proches…). Mais ils se popularisent difficilement aujourd’hui, faute d’interface naturelle. L’aspect ludique domine, principalement grâce à SnapChat et à ses lens et à Pokemon Go… sans pour autant créer une véritable usage quotidien sorti de celui de la messagerie.

Si la popularité du jeu est indéniable, Pokemon Go! n'a pas pour autant démocratisé la Réalité Augmentée

Si la popularité du jeu est indéniable, Pokemon Go! n’a pas pour autant démocratisé la Réalité Augmentée

Les Google Glass sont, à date, la tentative la plus aboutie de créer une interface pratique de réalité augmentée visuelle. Leur arrêt en 2015 a signé une fin temporaire des développements liés à un web ambiant visuel, laissant la réalité alternative visuelle dans le champ de la science-fiction (The Circle, Black Mirror), de la publicité (Coca Cola) ou du jeu vidéo (Sony)… Quand les prototypes de lunettes proposés par Facebook ou de lentilles connectés imaginés par Google verront le jour et seront adoptées, alors le Web ambiant sera une réalité et on pourra parler de la fin du monde digital. Ce n’est qu’une question de temps.

La fin de la réalité ?

Mais si l’on anticipe un monde sans rupture entre digital et concret – oublions le terme de réel – il va falloir également anticiper les dérives possibles de cette imbrication. Pas tant celles de la connexion permanente, car si cette connexion devient transparente et « augmentée », elle posera moins de question sur l’isolement du concret qu’elle ne le pose actuellement, mais les dérives liées aux contenus mis à disposition dans ce digital ambiant.

Yantra, le premier robot journaliste indien se charge de trouver les sources d'information, de les recouper et de fournir une première analyse aux rédacteurs humains

Yantra, le premier robot journaliste indien se charge de trouver les sources d’information, de les recouper et de fournir une première analyse aux rédacteurs humains

L’avalanche de contenus produits dans les espaces digitaux a déjà été pointée du doigt de nombreuses fois. Au bruit humain – la répétition des informations, les contenus créés uniquement à objectif marketing – s’ajoutent désormais les contenus créés artificiellement, par des programmes informatiques et des intelligences artificielles. Les robots journalistes ne sont pas une nouveauté, ils ont été testés par de nombreux portails Web, dont Yahoo!, au cours des dix dernières années. Ils étaient destinés, avant tout, à faciliter une création de contenu à moindre coût pour les grands sites d’information.

Actuellement, ce seraient plutôt les programmes de manipulations d’images et de vidéos qui feraient les choux gras des experts.

Les intelligences artificielles de Microsoft ou de Google sont capables de mixer des photos pour recréer des ambiances (adapter un coucher de soleil sur une vue de la campagne par exemple…) ou de créer de toute pièce une photo à partir d’une description textuelle. Plus effrayant, les dernières manipulations d’images permettent de coller un discours sur un visage ou de greffer le visage en particulier sur un film porno – les fameux DeepFakes – le tout en vidéo.

DeepFake, l'algorithme capable de copier n'importe quel visage dans n'importe quelle vidéo... est également utilisé pour manipuler les films pornographiques

DeepFake, l’algorithme capable de copier n’importe quel visage dans n’importe quelle vidéo… est également utilisé pour manipuler les films pornographiques

Ces possibilités de manipulation massive des images vont créer deux travers : tout d’abord la multiplication des « versions » de la réalité – un même contenu pourra exister de plusieurs façons, avec plusieurs ambiances ou plusieurs acteurs – mais surtout un doute permanent dans notre esprit sur les images que nous voyons.

Prenez ces possibilités de création et d’altération massive des contenus – rendues possibles par la croissance exponentiellement de la puissance de calcul – et mêlez-les aux possibilités du Web ambiant – la superposition sonore ou visuelle – et à la puissance des algorithmes que nous évoquions dans l’article précédent – un contenu ciblé par utilisateur. Effrayant ?

Terra Incognita

Oui. Ce qui se dessine en superposant les innovations technologiques les plus récentes ressemble naturellement une dystopie. Les derniers développements de l’omniprésence numérique n’incitent pas à l’optimisme – que l’on parle de la diffusion massive de fausses actualités pendant la campagne présidentielle américaine, ou de l’exploitation des données personnelles des utilisateurs de Facebook par Cambridge Analytica.

Un futur où la déconnexion n’existe plus nous expose de fait à des manipulations permanentes, voire à un travestissement du monde concret.

Pour autant, les initiatives pour créer de la richesse, à défaut d’honnêteté, à l’aide d’outils digitaux existent. Qu’ils s’agissent d’interfaces à la Tinder créées pour favoriser l’exposition au hasard – l’interface, pas forcément l’algorithme qui est derrière – que ce soit des initiatives éditoriales comme Artips ou des mécaniques audios proches de la radio – les Podcasts – ou encore l’économie des Box qui surfent sur l’inconnu que peut contenir un coffret chaque mois. Ces mécaniques favorisant la découverte de nouveaux produits, de nouvelles informations ou de nouvelles cultures sont nombreuses.

Il nous reste à imaginer une exploitation concrète de ces mécaniques, toutes plus ou moins issues de la philosophie de l’hypertexte, dans le monde hybride qui s’annonce. Une mécanique permettant non seulement d’enrichir, mais surtout d’agrandir le monde concret en y ajoutant des occasions d’être curieux. Loin de l’image d’un Ready Player One qui met en scène un monde virtuel fermé, et qui enferme ses visiteurs, on construirait au contrairement un univers où les interactions entre concret et virtuel servent à l’enrichissement « culturel ».

Une sorte de dystopie positive.

Le meilleur des deux mondes.