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Dans le monde numérique, les révolutions se ressemblent décidément beaucoup. À la suite de la réalité virtuelle, des NFT et du métavers, ce sont désormais les intelligences artificielles qui promettent de changer profondément le monde de la communication. À une grande différence près : les IA génératives ne se contentent pas d’ouvrir de nouveaux territoires d’expression ou de créer de nouvelles opportunités de prises de parole… elles semblent remettre en cause le métier même des agences de communication.

Rares sont les semaines où les médias professionnels ne vantent pas une campagne de publicité « Made in IA », qu’elle soit créée très sérieusement, avec un peu plus de malice ou qu’elle se joue des biais algorithmiques. Et loin de reléguer les modèles génératifs au rang d’outils, ce sont souvent ces IA qui sont mises en avant dans la presse. Entretenant le mythe d’une intelligence numérique toute créative, toute puissante, capable de remplacer demain rédacteurs, directeurs artistiques et planneurs stratégiques. Mettant en danger les métiers de la communication et du marketing.

Mais à y regarder de plus près, les métiers de communication et du marketing digital n’ont peut-être jamais eu autant besoin de l’humain. C’est que communiquer, c’est bien plus qu’être créatif .Ce n’est pas seulement trouver un bon slogan ou une belle image. C’est avant tout comprendre – le besoin d’un client – traduire – ce besoin en une idée de campagne – créer et produire – les assets de cette campagne – et enfin accompagner – dans le déploiement, le pilotage et le suivi de la performance de cette campagne. Et si la créativité est bien au cœur du métier des agences, elle n’est rien sans l’ensemble des autres talents et compétences qui lui permettent de briller.

La blague circule depuis quelques temps sur les réseaux sociaux : L’intelligence artificielle remplacera les agences de communication quand les clients sauront exprimer clairement leurs besoins. Nous sommes sauvés alors ! Elle est plus vraie que ce que l’on peut imaginer : les intelligences artificielles, comme tous les autres outils, remplaceront peut-être les agences dont les clients ne perçoivent que la production finale comme valeur ajoutée.

Mais pour les agences dont la valeur repose sur d’autres arguments, comme la performance, le conseil, la pédagogie, et cette capacité typiquement humaine à faire mûrir et grandir le business de leurs clients dans un monde numérique de plus en plus complexe, les IA ne seront qu’un outil. Un outil dont il faut que vos équipes s’emparent et qu’elles apprennent à maîtriser. Mais juste un outil de plus, au service d’une relation-client forte. D’une croissance commune.

Et surtout d’une belle histoire humaine.

Cet article est la traduction d’une interview donnée par le Directeur Général de Plan.Net France – Pierre-Emmanuel Muller – au site web de référence dans l’univers créatif LBB Online.

LBB > Quels contenus créatifs vous ont inspiré, ou intéressé, le plus en grandissant ?

Pierre-Emmanuel Muller > Un mélange, je pense. D’abord les livres dont vous êtes le héros. L’idée que l’histoire n’existe pas avant que je ne la lise et fasse mes choix, qu’elle se construise au fur et à mesure de ma lecture, me fascinait. Ensuite, les premiers jeux vidéo dans lesquels, une fois encore, les choix réalisés pendant la partie influaient sur le cours des événements. J’imaginais les embranchements, les personnalisations, les pondérations. J’étais tout aussi happé par le jeu lui-même que par la technologie sous-jacente.

LBB > Quel est votre parcours dans l’industrie numérique ? Depuis vos études jusqu’à vos premiers postes, quels sont les erreurs que vous n’avez jamais répété et les conseils que vous n’oublierez pas ?

Pierre-Emmanuel > J’ai eu un parcours peut-être un peu sinueux. J’ai commencé à travailler chez un hébergeur de sites web, LeVillage.Org, en tant que journaliste. Le site éditait un hebdomadaire en ligne. Avec la bulle internet en 2000, un journal papier a été lancé, dont je suis devenu rédacteur en chef. Je suis ensuite devenu chef de produit hébergement, en particulier pour le streaming. C’est là que j’ai compris ce que pouvait être un accident industriel. Administrer une mailing-list de 300 000 abonnés, cela peut conduire à quelques ratés magnifiques.

J’ai ensuite écrit une dizaine d’ouvrages de vulgarisation informatique, été chargé de cours à l’université de Rennes 2 et animateur radio avant de créer mon agence en 2005, au moment de la loi française sur l’accessibilité numérique. L’idée était alors d’accompagner les collectivités locales dans la création d’outils et de services accessibles au plus grand nombre de citoyens.

LBB > Dans les premières années de Plan.Net France, quelles sont les leçons que vous avez retenues, et que vous appliquez encore aujourd’hui ?

Pierre-Emmanuel > Je viens de l’open source. Un monde dans lequel chacun.e peut prendre la parole, challenger ceux qui sont là depuis longtemps, ceux qui sont en poste. Mon agence a toujours donné beaucoup de place aux jeunes talents. Que ce soit dans la conduite de projets, le développement commercial ou même l’organisation interne de l’agence. Autre apport de l’open source : release often, release early. Nous partageons tôt et souvent nos idées, nos projets. Plus on s’expose, plus on confronte, plus on est riche. Cela a permis à l’agence de grandir dans une culture de l’ouverture et de l’accueil des idées neuves.

LBB > Comment tout cela définit la façon dont vous travaillez au quotidien et l’environnement de travail que vous établissez chez Plan.Net ?

Pierre-Emmanuel > On sait que dans notre industrie, toute situation est transitoire. Les technologies, outils, ne dureront pas. Ce qui fait réellement notre valeur ajoutée, c’est notre capacité à accompagner, écouter nos clients et leur apporter la bonne solution, la bonne idée, la bonne technologie au bon moment. Les collègues savent qu’ils devront se former, challenger la façon dont ils travaillent, les outils qu’ils utilisent.

LBB > Vous êtes directeur général de Plan.Net France depuis plus de 11 ans. Quels sont les aspects les plus gratifiants et challengeant de ce poste ?

Pierre-Emmanuel > Le plus valorisant, c’est d’avoir des collègues qui travaillent encore avec moi 15 ans après leurs débuts, et d’en voir d’autres qui sont partis solliciter l’agence, nous appeller quand ils sont chez l’annonceur. On m’a dit un jour, dans notre métier, on n’a que sa réputation. Je pense que ce n’est pas tout à fait faux.

Le plus dur, même si c’est ce que l’on recherche aussi en travaillant en agence, c’est de toujours devoir prouver, montrer, convaincre. C’est une discipline à laquelle on doit s’astreindre. Elle est dure mais je pense qu’elle est nécessaire et salutaire.

LBB > De quoi êtes vous particulièrement fier dans vos travaux récents ?

Pierre-Emmanuel > Tout le travail que nous avons accompli depuis 4 ans maintenant avec BMW Group France. Nous avons accompagné notre client dans la transformation de sa communication et de son organisation. C’est avec lui que nous avons inventé de nouvelles façon de collaborer, de partager et d’améliorer notre collaboration.

LBB > Quels sont les défis que vous vous attendez à affronter dans les années à venir, auxquels l’industrie de la communication est exposée ? Et comment envisagez-vous de les affronter ?

Pierre-Emmanuel > Je crois fermement que dans notre métier, les généralistes ont encore une place. La tentation de la spécialisation, de la mode, peut être grande car elle apporte du confort, elle rassure. Je crois que nous devons offrir à nos clients une vue la plus large possible. Le contexte des actions est tout aussi important que l’action elle-même. En histoire, comme dans le digital.

LBB > Qu’est ce qui vous excite vraiment dans le futur de la communication ?

Pierre-Emmanuel > En dehors du week-end à venir ? L’intelligence artificielle, sous toutes ses formes. Nous ne savons pas encore à quel point nos jobs vont être transformés. Nous ne savons pas quels nouveaux besoins pourraient émerger de tout cela. Nous pouvons créer une image à partir d’une simple requête. Nous pouvons facilement extraire les phrases les plus importantes d’une réunion. Les curseurs bougent si vite qu’il est difficile de lire l’avenir. C’est vraiment une époque enthousiasmante pour nos métiers !

Le Net a envahi notre quotidien, mais il doit encore évoluer pour devenir plus utile, mais aussi plus responsable.

De terrain de jeu pour geeks, Internet est devenu incontournable dans nos vies. Mais, alors qu’il y a 20 ans on se félicitait de l’ère d’ouverture culturelle et de partage qu’il allait provoquer, on l’accuse aujourd’hui de nous surveiller, travestir la vérité et de manipuler l’opinion.

Les technologies ont évolué à grande vitesse mais le Net pourtant n’a pas changé. Si on est passé du mail au snap, de la page Web à la story… les possibilités de rencontre, de partage, de découverte restent là, portées par des internautes friands de contacts et d’interactions.

Aujourd’hui comme hier, les outils digitaux rapprochent les utilisateurs, facilitent l’accès à la connaissance, améliorent l’expérience – et parfois la vie – des humains. Le monde connecté n’est peut-être pas féerique, mais il est loin d’être l’obscure dystopie qu’on dépeint souvent.

En 2020, les agences digitales doivent, plus que jamais, remettre à l’honneur un Digital utile et responsable, tout en gardant à l’esprit son impact sur les utilisateurs et sur la planète.

Avec leurs clients, elles peuvent développer des services réellement utiles aux internautes, citoyens, consommateurs ou collaborateurs. Elles doivent accompagner ces mêmes clients dans la maîtrise des enjeux du monde digital, l’appréhension de ses dimensions environnementale et sociétale, et l’identification de ses dérives possibles.

Être agence digitale en 2020, ce n’est plus seulement faire, c’est surtout faire grandir.

Aujourd’hui une agence digitale doit accompagner les marques pour une réelle démarche RSE intégrée : dématérialiser, mais aussi penser à la fin de vie des outils et des campagnes, aux données stockées sans raison ou aux sites qui ne sont plus visités. Se poser la question des bénéfices à long terme du remplacement de catalogues par des sites qui fonctionnent H24, pour des exploitations souvent ponctuelles. S’interroger sur les impacts et bilans carbone de ces outils, que peu considèrent aujourd’hui.

Une agence digitale, plus qu’aucune autre, doit questionner l’expérience client globale et créer des connexions utiles, fluidifier les démarches. Où est la priorité aujourd’hui : déposer 40 cookies sur son site marchand ou gérer au mieux les files d’attente ?

Une agence digitale doit accompagner la mise en oeuvre, mais surtout conseiller la stratégie de moyens. Plutôt qu’une nouvelle expérience de réalité virtuelle, n’est-il pas plus responsable d’investir dans une application de formation à la sécurité ? Et mieux servir l’engagement responsable de la marque et au final son image et ses ventes ?

Au-delà de leur expertise technique, les agences digitales doivent être des partenaires humains et responsables, et être aux premiers rangs pour construire un digital bénéfique pour tous.