David mit son casque. Après quelques secondes, le temps que l’appareil démarre, il se sentit comme transporté. Cette journée qui s’annonçait pénible au bureau ne démarrait finalement pas si mal que ça. En tournant la tête, il remarqua que le soleil faisait ce matin de très jolis reflets sur les façades vitrées des immeubles. Sur les quelques centaines de mètres qui séparaient l’arrêt de bus du siège de l’entreprise, il se surpris même à faire quelques pas chassés. Il était décidément de bonne humeur… Cet appareil avait des vertus insoupçonnées et permettaient de changer l’humeur et la perception de la journée. Une sorte de réalité… altérée. En entrant dans l’immeuble, David fit un grand sourire à la fille de l’accueil.

Cela ressemble au début d’une expérience de réalité virtuelle, telle qu’une start-up des années 2010 pourrait la présenter auprès de ses futurs clients. Sauf que cette histoire pourrait tout aussi bien avoir…40 ans ! Car, si on excepte quelques expériences psychédéliques comme le fameux Bicycle Day d’Albert Hofmann, découvreur du LSD, l’invention de la Réalité Virtuelle, ou Augmentée, technologique date de 1979. Et plus précisément de là :

L’invention du Walkman par Sony en 1979, et surtout le succès de sa commercialisation grâce à des supports audio – les fameuses cassettes inventées par Philips [1] – pratiques, fiables et surtout enregistrables, a fait énormément pour la propagation de la culture digitale et le changement de la perception des médias [2].

Pour faire court, le Walkman a permis deux choses : la création de la première bulle de média personnalisée et l’apparition d’une réalité augmentée purement technologique.

L’apparition du média personnalisé

Avant l’arrivée du Walkman, comment écoute-t-on de la musique ? A vrai dire, on l’écoute surtout chez soi. La culture populaire a retenu l’image des familles rassemblées devant la radio ou celle de la platine vinyle située près du bar et du disque qu’on écoute un verre de whisky à la main après une journée de travail stressante.

La musique n’est finalement devenue nomade qu’assez tard : le poste à transistor dans les années cinquante [3] fait sortir la radio hors-les-murs, et quelques platines 45 tours ans les années soixante permettent d’emmener ses disques favoris dans le parc, le temps d’un pique-nique avec les copains [4]. Mais si la musique se nomadise, l’écoute reste collective. La radio s’écoute entre collègue, en famille… et si on peut choisir la galette de l’après-midi, c’est toute la bande qui profite du dernier Richard Anthony.

Avec le Walkman, ce qui change c’est l’individualisation de l’écoute. Ce casque aux mousses orange permet à deux personnes proches physiquement d’écouter deux musiques totalement différentes : chaque expérience musicale devient unique puisque vécue par un individu seul, et surtout isolé.

Le Walkman ne permet plus le partage de la musique et de l’expérience sonore et coupe, également, les échanges sociaux.

Est-ce que cela ne vous rappelle rien ? Les habitudes prises avec le Walkman sont extrêmement proches de celles vécues aujourd’hui avec les smartphones. Ajoutez simplement un écran et vous verrez que chacun possède désormais sa bulle d’information en plus de sa bulle musicale et que cette bulle coupe de fait les échanges entre personne en instaurant des filtres sur les contenus. Si l’on ne lit pas la même chose, ou qu’on ne voit pas le même film, difficile d’en parler ensemble.

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Sans aucun jugement, le Walkman est bien le première acte d’une personnalisation des médias, un premier clou dans le « cercueil » des médias de masse et de la consommation de groupe des contenus. Ne serait-ce que pour cela, le monde digital d’aujourd’hui lui doit beaucoup.

La première des réalités augmentées

Mais creusons plus loin. Si le Walkman est précurseur du Smartphone, il est également précurseur de l’ensemble des expériences de réalité augmentée que nous mettons en place aujourd’hui.

Vous vous souvenez de l’histoire de David ? Si sa journée a tant changé entre son réveil et son arrivée au bureau, c’est peut-être que dans ses oreilles passait Walking on Sunshine de Katrina & the Waves (oui, le morceau date de 1983, pas de 1979).

La perception que David avait de son environnement a changé par le simple ajout d’une musique…

D’ailleurs, faites l’expérience par vous-même : dans le métro, passez successivement d’un morceau triste à un morceau joyeux, par exemple d’un trio (l’opus 100) de Schubert au Love Shack des B-52’s. Continuez à observer les gens autour de vous : la perception que vous aurez de leurs actions, de l’histoire qu’ils vous évoquent, ne sera pas la même. La musique influe sur notre perception, tout cinéaste l’a compris. Elle est surtout la première des réalités augmentées.

Dans les années qui séparent l’invention du Walkman de celle de l’Oculus Go, on s’est peu penché sur le pouvoir de transformation du son. La seule mise en place concrète d’une « augmentation d’expérience » grâce au son est sans doute la création des audioguides dans les musées [5]. En fournissant une couche d’explication sonore, ceux-ci transforment une simple contemplation en une expérience éducative. Encore une fois, une réalité augmentée.
Quelques initiatives existent aujourd’hui, permettant soit d’atténuer le son extérieur [6], soit de commenter notre environnement [7]. Mais depuis le début des années 2010, les expérimentations en la matière ne semblent concerner que l’image. Facebook, Google, Apple ou encore Microsoft… tous se concentrent avant tout sur des lunettes permettant de nous emmener dans un univers parallèle ou de déformer notre quotidien. Peu se penchent encore sur le son.

Reconstruire un monde sonore

Pourtant, le son n’a jamais été autant à la mode qu’aujourd’hui : les Podcasts battent des records d’audience [8] et nos habitudes de mobilité (voiture, vélo, marche) ou nos activités physiques laissent nos oreilles libres si elles occupent nos mains. Et nos smartphones, que nous dégainons plus de 150 fois par jour, ne sont-ils pas conçus pour véhiculer avant tout de la voix et du son ?

Musique, textes, Histoire et histoires, il y a beaucoup à imaginer autour de la réalité augmentée sonore. Et si le sujet n’intéresse pas spécialement les GAFA, de nombreux projets pourraient demain changer votre quotidien avec quelques mots ou quelques notes de musique. Il n’y a finalement qu’à imaginer les dispositifs… et profiter de l’héritage fabuleux que nous a laissé le Walkman.

Demain, tous masqués ?

Le New York Time annonçait il y a quelques semaines qu’il permettait désormais aux annonceurs de diffuser de la publicité sur son site en ciblant les émotions de ses lecteurs [1]. Sans être totalement inédite, la démarche est pour le moins originale… et nous permet surtout de reposer la question du traitement des émotions sur le Net. Alors, autant en profiter !

La publicité qui répond à ce que je ressens

Oui, la démarche du New-York Times est aujourd’hui unique dans le secteur de la pub digitale.

Historiquement, les grandes régies, issues des médias ou des pure-players, jouent plutôt sur les affinités pour cibler leurs publicités. On sait par exemple qu’un lecteur du Figaro va plutôt rechercher des contenus culturels ou des services haut-de-gamme. Les annonceurs de ces secteurs auront donc une plus grande performance publicitaire en annonçant dans ce journal. C’est historiquement ce degré d’affinité entre une audience et un support qui fait tourner le business de la publicité en ligne, quasiment depuis sa création.

La démarche du New York Times ne remplace bien entendu pas ce système, mais le complète avantageusement. Une marque de sport pourra ainsi apparaître sur des articles jugés « dynamiques » par les lecteurs, ou une librairie pourra annoncer sur des contenus qui « font réfléchir ». Le New York Times a retenu au final 18 critères, 18 émotions pour qualifier ses contenus et assurer un bon ciblage publicitaire. Autant de choix possibles pour les annonceurs qui voudraient insister sur les qualités intrinsèques de leurs marques.

Le Net, territoire d’émotions

Mais traquer les émotions sur le Net, ce n’est pas réellement nouveau. Internet, puisqu’il permet depuis longtemps à tous de s’exprimer, est un territoire d’émotions. En 2005, Lycos Europe lançait Jubiiblog [2], une plateforme de blog sur laquelle chacun pouvait contribuer et surtout tagguer son état d’esprit au moment de la publication de ses billets. Une plateforme qui ne résistera malheureusement pas à la fin du portail en 2008.

En fait, depuis l’ouverture du Net aux contributions individuelles – des pages persos aux blogs ou des vidéos [3] aux tweets, chaque contenu véhicule et suscite une émotion : positive ou négative, timide ou franche, partagée ou non… Le vrai défi émotionnel du Net n’a jamais été de susciter des émotions, mais plutôt de comprendre celles-ci et de savoir comment les exploiter. D’où une pléthore d’outils sémantiques apparus au cours de ces dix dernières années, et aujourd’hui boostés par l’intelligence artificielle, voulant analyser chaque message envoyé [4] aux marques pour savoir si les foules de consommateurs sont satisfaites du service rendu ou non.

En 2016, Facebook déployait une palette de réactions possibles [5] allant de l’éclat de rire à la colère, en complément de son bouton Like historique. LinkedIn a fait de même en 2019 [6] avec des boutons de réaction allant eux de l’applaudissement au questionnement. Un autre moyen de traquer l’engagement, et surtout la réaction suscitée par les contenus, sur les réseaux sociaux.

On se souviendra également, pour l’anecdote, que le changement du bouton Favori de Twitter en un bouton Like en forme de coeur avait suscité de nombreuses réactions [7]. Passer d’un marquage purement factuel à l’expression d’une émotion n’est pas « neutre », loin de là, pour l’internaute.

Emotions, manipulation

Mais que deviennent nos émotions, une fois digérées par les réseaux sociaux ? A l’instar de nos achats sur Amazon, toutes les actions sur les espaces digitaux servent aujourd’hui à alimenter des algorithmes optimisant notre consommation. Mais si sur Amazon, elles servent uniquement à pousser des recommandations de produits [8], sur Facebook, ils servent à diffuser du contenu ciblé et personnalisé.

Les « émotions », telles que les entend Facebook, ne sont bien entendu qu’une partie des données analysées par le réseau. S’y ajoutent le temps passé sur les contenus, le temps passé sur les vidéos, les commentaires que nous laissons et les profils des personnes et des marques nous ayant fait découvrir ces contenus. Cet algorithme complexe, mais légitime dans le modèle économique du réseau, dépend avant tout de notre temps passé en ligne.

De fait, l’exploitation de nos émotions sert à nous hameçonner, à nous faire passer plus de temps sur les réseaux sociaux, et par effet de bord à nous faire interagir et consommer plus de publicité. L’analyse des émotions est aujourd’hui une composante essentielle de ce qu’on appelle les Dark Patterns [9] : l’ensemble des pratiques UX qui nous poussent à consommer d’avantages.

C’est également un carburant indispensable aux stratégies publicitaires. Facebook promet aux marques de toucher les internautes qui « aiment » – comprendre par là, qui interagissent et qui consomment – certains types de contenu. C’est souvent inoffensif quand cela vous pousse simplement à regarder une nouvelle vidéo de jardinage ou de bricolage. Cela pose plus de questions quand les contenus ainsi poussés touchent à la sphères politiques et permettent d’influer sur le résultat d’élections [10].

Sur ton visage

Mais jusqu’à présent, n’étaient exploitables que les émotions que l’on voulait bien montrer. Le modèle économique de Facebook, ou le moteur de recommandation de Netflix, sont basés sur nos réactions volontaires : Like, Follow, temps passé… Libre à nous d’envisager une « grève du Like » si l’on veut que les réseaux sociaux cessent d’exploiter nos goûts.

Mais demain ? Les avancées technologiques promettent un avenir un peu plus inquiétant, notamment du fait du déploiement massif de la 5G en Chine et dans les pays occidentaux, et de sa combinaison possible avec les algorithmes de reconnaissance faciale [11]. Car si on évoque parfois l’identification des individus dangereux par le biais de caméras [12], on oublie souvent la capacité des algorithmes à aller plus loin que la reconnaissance d’un visage.

De nombreux tests ont déjà été effectués par le passé, visant à reconnaître les émotions sur un visage : joie, tristesse, angoisse [13]… On se souviendra tout particulièrement de cette analyse en direct des réactions de Mark Zuckerberg [14] lors de son audition par le sénat américain dans le cadre de l’affaire Cambridge Analytica – justement. Quid d’une reconnaissance faciale qui deviendrait, ne serait-ce qu’un temps, un détecteur de mensonge [15] et permettrait d’incriminer, ou de plaider à charge, devant les tribunaux ?

On nage en pleine science-fiction ? Peut-être… pour l’instant. Ce type d’exploitation de la reconnaissance des émotions dépendra quoi qu’il arrive de l’utilisation qui sera faite de la reconnaissance faciale dans l’espace public. Et là, deux écoles s’affrontent : San Francisco qui a décidé de bannir les algorithmes de reconnaissance de son espace public [16], et le Royaume-Uni qui lors des tests opérés par la police verbalise les passants ne souhaitant pas montrer leurs visages [17].

Emotions cachées

Reste une dernière option : prendre – enfin – conscience que les émotions telles qu’elles existent dans les espaces numériques, sont un biais. Ou en tout cas une matière bien trop complexe à gérer. La question se pose du côté d’Instagram cette fois.

Conscient des travers de son modèle d’influence, notamment sur les secteurs de la mode et des cosmétiques, Instagram ne peut décemment plus proposer à ses annonceurs un monde où la qualité des contenus se mesure au taux d’interaction. Simplement parce qu’il est trop facile de truquer ces interactions [18]… Le réseau envisage donc de ne plus faire apparaître les Likes sur ses contenus [19], histoire de ne plus tromper personne et de ne pas transformer son usage en une espèce de course à l’échalote. Ce qu’il est déjà, ne nous leurrons pas.

Et si les réseaux eux-mêmes ne peuvent se réguler, peut-être devrons-nous apprendre à masquer nous-mêmes nos émotions, soit en utilisant des lunettes empêchant toute reconnaissance faciale [20], soit en sortant masqués pour éviter caméras et algorithmes. Et ça, la science-fiction l’a déjà envisagé [21].

Chacun est libre de créer

Il y a 25 ans, quand Internet est doucement devenu populaire, une large majorité de ses enthousiastes y voyait le plus grand terrain de jeu de la planète. On l’imaginait comme une espèce de gigantesque bac à sable dans lequel chacun pourrait s’essayer à partager, construire et se créer un petit univers, à son image.

On apprenait alors le HTML [1], on piratait – chuuut ! – Photoshop [2] pour retoucher nos photos ou créer rapidement des effets de halos. On cherchait un hébergement – gratuit si possible [3] – pour ces quelques pages, et partageait ainsi notre passion pour les santons de Provence ou les R5 tunés.

Webmonkey, la plateforme qui a permis à de nombreux internautes de découvrir et comprendre le HTML

Back in 1998 : Webmonkey, la plateforme qui a permis à de nombreux internautes de découvrir et comprendre le HTML

Les 30 ans du Web au début du mois de mars a été l’occasion pour les plus anciens des geeks de se remémorer leurs premières créations digitales [4]. Si celles-ci n’ont laissé aucune trace dans l’histoire de l’esthétique, elles ont tout de même forgé l’imaginaire d’un internet terreau de la liberté d’expression.

Lost in Creativity

Aujourd’hui, si l’esprit de liberté n’a pas réellement disparu, celui de la créativité a peut-être changé de trottoir. C’est que beaucoup de révolutions sont passées par là. Du HTML, on est passé aux blogs, plus faciles à maîtriser et nombres d’internautes ont découvert la liberté de parole via les Skyblogs [5] et autres Tumblr. Puis sont venus les réseaux sociaux, Facebook et Instagram en tête, qui ont définitivement permis à tout le monde de profiter des 15 minutes de célébrité promises par Andy Warhol [6] … mais de façon fractionnée, par tranche de 3 secondes.

Si les réseaux sociaux ont eu le mérite de démocratiser l’expression de chacun – on fermera les yeux le temps d’un article sur les travers de cette démocratisation – ils ont malheureusement appauvri le terrain de jeu des origines. Rien de moins créatif qu’un Facebook : on y poste simplement la photo ou la vidéo qu’on vient de prendre sur son smartphone. On y rediffuse les mêmes GIFs et les mêmes « bonnes idées » qu’on a déjà vu des dizaines de fois.

Trolltunga, en Norvège, symbole de l’uniformisation du voyage que provoque Instagram

Rien de moins créatif qu’un Instagram. On y suit les mêmes palettes de couleurs et les mêmes compositions à longueur de repas et de voyage [7]. Et s’il reste enthousiasmant de suivre quelques artistes ou quelques comptes particulièrement bien inspirés, il faut bien admettre qu’aujourd’hui le contenu partagé sur les réseaux sociaux crée plus d’ennui qu’autre chose. Oui, on a de plus en plus souvent l’impression d’avoir fait le tour du Web [8].

La faute à quoi, la faute à qui ? Au manque d’idées global de l’humanité ? Un peu trop facile… la créativité se nourrit aussi des outils disponibles et pour la majorité des contributeurs digitaux, ces outils se résument au smartphone qu’ils dégainent de leur poche 150 par jour [9]. Quand le seul outil que l’on possède est un copier/coller, toute création est un copier/coller.

Digital is the New Normal

C’est que l’univers digital est aujourd’hui devenu banal. Plus de la moitié de l’humanité a accès à Internet, les principaux réseaux sociaux comptent plus d’un milliard d’utilisateur chacun [10]. En janvier 2018, les Français passaient en moyenne 1h22 sur les réseaux sociaux [11]… Quand un outil est à ce point entré dans le quotidien des gens, il cesse d’être un terreau créatif pour devenir une commodité.

 

Encore sur votre smartphone ?

On se sert du Net pour faire ses courses, rencontrer l’âme sœur, commenter les émissions de télévision, payer ses impôts ou écouter le dernier album d’Andrew Bird [12] en écrivant un article qui parle de créativité et d’Internet [13]. Bref, on s’en sert au quotidien soit pour travailler, soit pour ses loisirs, soit pour se rendre la vie un peu plus facile… mais plus rarement pour créer.

Et pourtant, l’espace digital est aujourd’hui encore l’un des plus beaux terrains d’expérimentation que l’on puisse imaginer. Mais Il n’est plus seulement question de créer des sites internet…

L’ère des nouveaux bricoleurs

En 2019, et depuis quelques temps, c’est avant tout l’imbrication croissante du « virtuel » et du « concret » qui est intéressante. L’émergence des technologies telles que réalité virtuelle, commandes vocales, Internet des Objets… et plus loin Intelligence Artificielle, ouvre finalement plus de portes que le Web initial n’en laissait entrevoir.

Roy Allela, inventeur kenyan, a mis au point un gant capable de traduire le langage des signes en "paroles" pour aider à la communication des personnes malentendantes.

Roy Allela, inventeur kenyan, a mis au point un gant capable de traduire le langage des signes en « paroles » pour aider à la communication des personnes malentendantes.

La fin des interfaces informatiques permet l’émergence de nouveaux bricoleurs, moins préoccupés par la propagation du savoir que par l’interaction des outils avec les humains. L’homo-numéricus est passé en une décennie du rêve de savoir universel à l’imaginaire d’un Digital for Good où chacun peut devenir un artisan du numérique. En résultent des expérimentations aussi variées que des prothèses connectées [14], des traducteurs de langage des signes [15], ou plus modestement de petites boîtes à musique [16].

Bien entendu, l’envie de créer, de propager et d’expérimenter n’a pas disparue : nombre de bricoleurs travaillent déjà quotidiennement à créer des objets et des utilités numériques… mais à l’heure où la politique et la société se concentrent avant tout sur les start-ups et le business, ne serait-il pas bon de retrouver les idéaux des débuts, de rééquilibrer les discours et de faire de cette énième révolution numérique un grand terrain de jeu plutôt qu’une place de marché ?

C’est d’autant plus facile que les savoirs numériques, accessibles à tous, sont légions et que depuis deux siècles il a rarement été possible d’avoir autant de matériel d’expérimentation à disposition. Ordinateurs à bas-prix, technologies open-sources, impression 3D… les techniques sont là pour permettre une prise en main rapide, par tous, des possibilités « digitales ».

Une sorte de Révolution artisanale.

Alors créons, expérimentons, prototypons !

Aujourd’hui le numérique doit être partout, au cœur de l’entreprise. Mais il ne doit pas devenir une obsession dans la tête de son dirigeant. Plan.Net lance HEAR : une série de packages qui permettent aux entreprises de s’assurer de leur performance digitale.

Le digital, de plus en plus accessible…

En 2019, les outils digitaux ne sont plus aussi complexes qu’il y paraît. En intégrant notre smartphone, bon nombre de services sont devenus facilement accessibles aux consommateurs, et il est aujourd’hui aussi facile de réserver un billet de train, ou de commander un meuble, qu’il était simple il y a 20 ans de consulter un article dans le journal. La véritable victoire de la révolution numérique, c’est d’avoir rendu accessibles à tous une infinité de produits et de services.

Mais en ouvrant les services au plus grand nombre, le digital a aussi mis une gigantesque pression sur les entreprises. Aujourd’hui, pour être performante, une entreprise doit être à jour dans ses usages digitaux. Elle se doit de proposer ses services en ligne, de manière fiable et accessible, avec un maximum d’information et de contexte. Le numérique qui facilite la vie des consommateurs est souvent devenu une charge pour les entrepreneurs.

…Sauf peut-être pour les entreprises.

Car, on ne va se mentir : on ne développe pas une entreprise pour l’excellence numérique qu’elle impose. On le fait par passion, par envie, pour proposer un produit ou un service auquel on croit, une façon de travailler innovante, ou une qualité qui répond pleinement aux envies des clients. On ne pilote pas une entreprise pour le plaisir de créer un site internet. On est, parfois, malheureusement obligé de le faire.

Alors on teste, maladroitement parce que ce n’est pas notre compétence première. Ou on confie la gestion des espaces digitaux à ce cousin ou ce neveu doué en « informatique » – quoi que regroupe ce mot… On délègue sans forcément savoir, et maîtriser, ce qui sera fait. Dans tous les cas, on garde dans un coin de la tête ce besoin d’exister dans l’espace digital.

Mais aujourd’hui, si le numérique doit être partout au sein de l’entreprise, il doit surtout cesser d’être un fardeau dans la tête de son dirigeant. Car celui-ci a mieux à penser.

Le guichet unique du numérique

HEAR by Plan.Net France

La solution existe pourtant : c’est la même que celle qui existe depuis longtemps dans le secteur automobile : un guichet unique. La voiture a cessé d’être une préoccupation quand les entreprises ont eu ce réflexe d’avoir un garagiste, ou un loueur, comme interlocuteur unique. De la même façon, le numérique cessera d’être une question à partir du moment où le réflexe d’un guichet unique s’installera :

  • un guichet unique qui permet de s’assurer de la qualité technique de son écosystème digital (son accessibilité, sa vitesse de chargement, sa sécurité – pour répondre au plus vite aux requêtes des internautes.
  • un guichet qui permet également de s’assurer de sa performance et de son adéquation avec le comportement des clients : être trouvable sur les moteurs de recherche, proposer des parcours optimisés.
  • un guichet qui permet enfin de garantir une information et une animation de qualité auprès de la clientèle, car la performance digitale passe aujourd’hui par le contenu, par sa régularité et sa pertinence face aux interrogations des internautes.

C’est dans cet esprit que Plan.Net a créé HEAR : mettre en place ce guichet unique qui simplifie la vie de l’entreprise et lui garantit une présence digitale performante, sûre et dynamique. Pour que ce qui est devenu facile pour le consommateur, au quotidien, le devienne également pour les entreprises.

Découvrez HEAR sur notre site dédié.

I'm sorry Dave...

Parmi les quelques lois édictées par Arthur C. Clarke – l’auteur entre autres de 2001 l’Odyssée de l’Espace – il en est une qui est particulièrement d’actualité. Elle dit que « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. »

En ces temps où l’innovation technologique prend une allure vertigineuse, on pourrait se demander si elle n’a pas déjà commencé à s’appliquer…

Une technologie ambiante

En quelques dizaines d’années, la technologie est doucement devenue invisible. Les ordinateurs imposants qui occupaient nos bureaux se sont mués en tablettes et en smartphones. Les tubes de télévision ont cédé la place aux écrans plats que certains n’hésitent pas à utiliser comme des tableaux. Les fils qui nous reliaient au réseau téléphonique ont disparu au profit des ondes Wifi et 4G. La technologie a envahi notre quotidien. Elle a en revanche quitté notre champ de vision.
Les écrans eux-mêmes seraient en train de disparaître, cédant le terrain aux enceintes connectées et aux commandes vocales. Nous sommes plus que jamais entourés de technologie, mais soyons honnêtes… nous ne la voyons plus.

L’expression ultime de cette disparition, c’est Amazon Go. L’expérience client de la supérette sans caisse d’Amazon n’a en réalité plus rien de technologique. On entre, on se sert dans les étagères, on remplit un panier et on repart. Toute l’artillerie électronique du magasin – capteurs, caméras et bien entendu ordinateurs – est reléguée en coulisse loin des yeux de la clientèle.

Du point de vue du client, cette expérience de shopping n’est pas plus « digitale » que l’achat d’un citron, le vendredi soir, chez l’épicier du coin. Toute la technologie déployée par Amazon est effectivement devenue transparente.

Et à bien y regarder, il y a bien un petit côté magique dans ce magasin sans interaction. Se servir, repartir et voir son compte en banque débité automatiquement du bon montant, c’est la forme la plus positive de magie que nous promet la technologie aujourd’hui !

Puissance et Data

Cette magie de l’expérience Amazon Go, on la doit à une foule d’innovations technologiques qu’on regroupe aujourd’hui un peu facilement sous le terme « Intelligence Artificielle ». Amazon Go, ce sont des capteurs de poids capables de détecter quand un produit quitte une étagère. Des caméras capables de suivre en permanence un acheteur et d’identifier ses gestes. Et des ordinateurs capables de faire le lien entre toutes ces sources d’information et d’en déduire qui a acheté quoi.

Pour faire court, c’est l’explosion des capacités de transfert et de traitement de l’information qui rend possible Amazon Go. Alors qu’il y a quelques années, on peinait encore à analyser des statistiques complexes, l’augmentation de la capacité de calcul des ordinateurs, mais aussi le déploiement des réseaux à hautes vitesse (fibre, et bientôt 5G), permettent de traiter, en temps réel, des images ou des vidéos. Des données éminemment complexes, mais que les ordinateurs ont appris à traiter.

Aujourd’hui, l’interprétation des images est monnaie courante, et ouvre le champ à de nombreuses applications. Pour ne parler que des plus impressionnantes, on pensera aux expérimentations en matière de reconnaissance faciale qui ont lieu à Shenzhen en Chine : détection de la triche aux examens, identification d’un criminel dans la foule d’un stade… et attribution d’un score « social » aux habitants en fonction de leur comportement.

Là encore, une technologie transparente qui a pourtant un impact bien réel.

La fin de l’empathie

C’est en fait la véritable question de l’accélération technologique que nous subissons actuellement : son impact sur nos vies « réelles », « concrètes ». Quels critères font qu’un habitant chinois peut se voir refuser l’embarquement sur un vol international ? Et surtout, comme cet habitant peut-il agir sur ces critères ?

En faisant dépendre des décisions administratives à des milliers de données collectées, ne crée-t-on pas de l’obscurité dans la vie réelle ?

C’est un syndrome déjà observé aux Etats-Unis quant aux décisions de l’administration locale sur l’attribution des aides sociales. De plus en plus de dossiers sont traités « informatiquement », sur des critères purement objectifs. En développant ces systèmes entièrement automatiques, et forcément « objectifs », les administrations créent en fait de l’incompréhension.

Pour la plupart des fonctionnaires utilisant ces systèmes, ils sont devenus le moyen de se dédouaner d’une décision : « Nos systèmes ne me permettent pas de vous accorder ce prêt ». Pour les bénéficiaires, ces programmes sont surtout perçus comme la fin de l’empathie et de l’écoute. On peut comprendre un refus présenté avec humanité et compassion par un interlocuteur humain, on se retrouve démuni quand la décision émane d’une intelligence artificielle qui ne permet par de réplique ou d’opposer des arguments.

Lost in digitalisation

Plus que la « magie » d’ Arthur C. Clarke, on peut craindre en fait une sorte d’illettrisme moderne, une impossibilité pour l’esprit humain de comprendre les tenants d’une décision. Car forcément, la capacité des ordinateurs à stocker et traiter l’information est forcément sans commune mesure avec l’intelligence humaine.

Face à une décision algorithmique ayant un impact sur notre quotidien, nous ne savons comment réagir. Simplement parce que nous ne comprenons et ne pouvons discuter cette décision. Là ou un conseiller peut toujours argumenter, même maladroitement, une IA reste froide et ne s’explique pas.

Tout le problème est en fait là. Les critères qui permettent les arbitrages d’une IA sont – et seront forcément – trop nombreux pour être compréhensibles par les personnes impactées. L’habitant de Shenzhen qui se voit refuser son visa international peut-il comprendre les raisons de ce refus ? Et surtout, a-t-il en amont un moyen de connaître l’impact de ses propres actes avant même de demander son visa ?

L’illettrisme digital, c’est avant tout cela : l’incompréhension de l’impact qu’à la technologie sur notre vie quotidienne, et la sensation de perdre le contrôle sur nos vies. Une sorte de malédiction.
Alors que les progrès de l’intelligence artificielle ont réveillé de grandes peurs de destruction de l’humanité – le syndrome Skynet – on s’inquiète relativement peu de la mainmise des algorithmes sur notre quotidien. La perte de compréhension du monde qui nous entoure, des interactions et décisions, et surtout de la portée de nos actes, se révèlent des dangers autrement plus grands pour notre vie en société.

Si Arthur C. Clarke avait prédit l’émergence de la magie, il n’imaginait peut-être pas que celle-ci serait… noire.

Cet article fait partie du numéro #5 du magazine Twelve édité par Serviceplan.

D’abord, un petit coup d’œil dans le rétroviseur sur plus de 20 ans d’existence du monde digital et des acteurs qui le peuplent. Mais surtout, un plein phare sur la route qui nous attend, nous les agences digitales, et les défis que nous aurons à y relever. Moteur.

Nouveau western

La métaphore est usée. Déjà en 1990, quand les activistes américains s’inquiétaient d’une possible mainmise des gouvernements sur le réseau Internet, ils baptisaient leur rassemblement d’Electronic Frontier Foundation [1]. Un rappel de cette mythologie américaine de la « Frontière » : une limite artificielle entre un monde civilisé – régit par les lois – et un espace de totale liberté qu’étaient les territoires du Grand Ouest [2].

Pour eux, le Web qui balbutiait encore était ce nouvel Ouest, ce pays au-delà de la frontière, où chacun pouvait s’exprimer en liberté, prospérer ou entreprendre.

La métaphore est toujours vraie, mais l’Histoire a rattrapé l’espace numérique. Pour qui a vécu ces vingt dernières années dans le monde digital, la vie ressemble au scénario d’Il était une fois dans l’Ouest [3].

Il y a 20 ans, les pionniers créaient leurs premiers sites, leurs premiers business, profitant des opportunités offertes par un territoire vierge. Il y a 10 ans, les premières infrastructures – moteurs de recherche, réseaux sociaux, plateformes eCommerce – commençaient à se consolider, devenant des entreprises florissantes. Aujourd’hui, le Net est comparable à ces grandes cités qui ont poussé au milieu des déserts : les entreprises y fleurissent toujours, mais sous couvert des GAFA et des infrastructures mises à disposition, plus ou moins gracieusement, par ceux-ci. Le pionnier est devenu un usager. De créateur maîtrisant des outils d’expression simple, il est devenu habitant d’un gigantesque réseau de sites et de plateformes avec lesquels il interagit au quotidien.

L’Electronic Frontier des pionniers a disparu laissant place à un espace digital que l’on veut civilisé, ou tout du moins bâti et doté d’infrastructure. Et sa crainte d’un Web tombant sous la coupe des états a finalement laissé la place à une mainmise des grandes industries de la Silicon Valley.

Cette civilisation du Net n’est pas sans poser de questions sur la place de l’humain dans ce nouveau territoire.

Civilisation du Net

En même temps qu’il s’est enrichi en infrastructure, le Net s’est démocratisé. On n’avait jamais vu autant d’être humains connectés en même temps à un même outil. Il n’y a qu’à consulter les chiffres de fréquentation de certains réseaux sociaux pour réaliser à quel point le digital en tant que technologie a disparu des écrans… pour céder la place aux usages : Facebook réunit 2,2 milliards d’internautes [4], Instagram 1 milliard de photographes amateurs [5] et WeChat a également dépassé le milliard de membres [6].

Derrière ces chiffres, on est en droit de se demander si les usagers du digital comprennent les écosystèmes auxquels ils contribuent. Loin de l’esprit des pionniers et des constructeurs du monde digital, les utilisateurs actuels consomment à la surface des interfaces numériques sans savoir comment fonctionnent celles-ci, ni parfois connaître les conséquences de leurs actes et de leurs partages.

Dans un monde digital qui s’automatise, et fait de plus en plus appel aux algorithmes – et demain aux Intelligences Artificielles – l’illettrisme digital gagne en ampleur et en gravité [7].

Le mythe du Digital Native – cet enfant ayant grandi avec un ordinateur est étant naturellement doué pour la technologie – est tombé depuis longtemps [8]

Honnêteté et Transparence

Conséquence : sans connaissance des rouages, l’internaute a non seulement besoin d’interactions simples, mais également d’interfaces claires et honnêtes qui ne lui cachent ni la portée de ses actes numériques, ni la nature des acteurs avec lesquels il interagit. Mieux, d’interfaces qui l’éduquent et l’éclairent sur les réels enjeux de la société numérique actuelle. Entre Cambridge Analytica [9] et GDPR [10], 2018 aura été l’année d’une prise de conscience.

Les interactions digitales doivent aujourd’hui être conçues avec transparence, honnêteté, mais aussi simplicité et esthétisme. Pour utiliser un seul mot : elles ont besoin d’être designées.

Car les préoccupations listées sont bien dans la nature même des métiers du design : concevoir des systèmes en interactions avec l’humain qui soient à la fois pratiques, esthétiques, vrais et économiquement viables.

Théorie de l’évolution

Entre des infrastructures géantes et industrielles, et des utilisateurs pas toujours au fait de leurs actes et de leurs possibilités, c’est le rôle des intermédiaires doit se redéfinir.

Et plus particulièrement le rôle des agences digitales qui accompagnent au quotidien les entreprises dans leur apprentissage de l’univers numérique, et mettent à disposition des utilisateurs des outils, des contenus et des interfaces faisant souvent office de porte d’entrée sur le monde digital.

Autrefois parti-prenantes de la création des écosystèmes (sites Web, plateformes, intra- et extranet), les Web Agencies voient aujourd’hui leur rôle doucement muer.

Tout d’abord parce que les systèmes permettant la création de plateformes digitales se sont industrialisés. CMS, workframe et autres plateformes SAAS ont parfois rendu inutile le besoin d’un développement à façon. La présence en ligne des marques passe aujourd’hui plus souvent par l’adaptation d’une solution existante que par le développement d’une idée de zéro.

Ensuite, les audiences ses sont aujourd’hui agrégées sur quelques plateformes importantes. Ces Facebook, Instagram, Youtube, mais également certaines plateformes de contenu… regroupent chaque jour des milliards d’utilisateurs et sont devenus incontournables. Et il est souvent plus facile, et plus utile, de parler aux internautes sur ces réseaux que de tenter la création d’un nouvel espace d’échange en ligne. Il convient aujourd’hui, en digital, de s’adresser aux utilisateurs sur les espaces et systèmes qu’ils utilisent déjà.

La question posée aux agences digitales a donc changé de nature : on ne leur demande plus de créer de nouveaux usages, mais bien souvent de tirer le meilleur parti de l’existant digital. De travailler à l’optimisation des interactions digitales entre marques et utilisateurs. De constructeur, les agences sont souvent devenues des aménageurs, des architectes d’intérieur, des promoteurs…

En un mot, on leur demande désormais de faire du… Design.

Agence digitale, agence de Design

Qu’est-ce que le Design ? A en croire les définitions, dont celle de la Wikipedia, le design est la création d’un projet en vue de la réalisation et de la production d’un produit, espace, service ou d’un système. Le design se situe à la croisée de l’art, de la technique et de la société [11]. C’est bien là le rôle actuel des agences digitales.

Une agence ne crée pas seulement un site, une campagne ou un contenu, elle crée également les outils et les méthodes qui permettent à celui-ci d’exister et d’être maintenu dans le temps. Quant à la prise en compte des aspects esthétiques et techniques du Web ? Elle fait partie de l’ADN de toute agence depuis des années. Il faut faire efficace et beau, utile et agréable. C’est l’essence même du travail du Web.

C’est peut-être la prise en compte de la Société qui est nouvelle, la responsabilité qui repose désormais sur celui qui propose, crée, conçoit des outils numériques, par l’immense audience qu’il peut toucher et la part de vie à laquelle il se greffe dans notre quotidien. C’est cette responsabilité – si non sociétale, a minima humaine – qui doit désormais être présente dans l’ADN des sociétés Web.

Être concepteur des interactions digitales quotidiennes, c’est ce qui fait des agences digitales des acteurs du Design à part entière.

Il en est des expériences utilisateurs comme des belles romances au cinéma : elles évoluent en fonction des engagements et des ruptures.

Une rupture, c’est toujours un moment difficile.

Qu’appelle-t-on une rupture quand on parle d’Expérience Utilisateur ? Une rupture, c’est une action qui oblige l’utilisateur à attendre, à changer de moyen d’interaction, ou à réfléchir d’une manière différente lors d’un parcours…
Quelques exemples ?

Ils sont nombreux, et n’importe qui utilisant le Net au quotidien les aura rencontrés au moins une fois. Au moment du paiement d’une commande en ligne par exemple, c’est le fait de devoir rechercher le numéro de sa carte de paiement, ou de devoir trouver son smartphone pour vérifier un numéro de validation 3DSecure. Cela peut également être l’obligation de télécharger une application pour finaliser une action sur son téléphone mobile, ou encore le fait de devoir activer un lien reçu par email lors de la création d’un compte sur un nouvel outil.
Toutes ces actions obligent à « rompre » la logique de nos actions, soit physiquement – lâcher son ordinateur pour regarder son smartphone – soit applicativement – passer d’une application à sa messagerie.

Nous sommes aujourd’hui entourés d’outils et d’interfaces qui nous promettent des interactions fluides et rapides avec les plateformes numériques.

Poster une photo sur Instagram ne demande pas plus d’une minute au commun des mortels. Commander un nouveau livre sur Amazon ne demande souvent qu’un ou deux clics. Ces applications sont étudiées pour limiter les ruptures et proposer une expérience la plus unifiée possible aux utilisateurs.

Sur Amazon par exemple, les étapes sont simples et facilement compréhensibles : panier, livraison, paiement. Amazon stocke vos informations de carte bancaire pour que vous n’ayez pas à chercher de coordonnées de paiement. Autant d‘astuces qui permettent de limiter les ruptures, et également minimiser l’importance des étapes que vous allez franchir avant la commande.

Bien entendu, les ruptures sont quelque fois indispensables, ou inévitables. Pour des raisons de sécurité par exemple – oui, un mail ou un SMS de confirmation d’inscription est un moyen sûr d’éviter une usurpation – ou pour signifier que l’étape qui va suivre constitue un engagement important pour l’utilisateur.

Un engagement, c’est quelque chose à prendre au sérieux

Les engagements, justement. Ce sont ces actions qui ne sont pas anodines pour l’utilisateur parce qu’elles lui demandent plus qu’un simple clic. Laisser des coordonnées personnelles est un engagement. Payer ou envoyer des documents administratifs est un engagement. Signer « administrativement » une déclaration est un engagement.

Ces actions particulières, car elles peuvent avoir un impact sur la vie réelle de l’internaute, sont en général des sources de ralentissement, voire de rupture, dans les parcours digitaux.

C’est en effet dans ces moments que l’internaute pèse la valeur du service qu’il va souscrire, ou de la commande qu’il va effectuer. Cet objet vaut-il réellement le prix demandé ? Ce service m’est-il réellement indispensable et nécessite-t-il vraiment que je lui fournisse mon numéro de mobile ?

Il n’est pas question ici de minimiser l’engagement nécessaire d’un internaute. De nombreux engagements sont rendus indispensables par des contraintes légales, comme les justificatifs administratifs, ou par le bon fonctionnement d’un service, comme les adresses de contact ou la nécessité de pouvoir appeler le souscripteur. Les engagements sont des étapes indispensables à tout service digital, mais ils doivent être présentés de manière claire et compréhensible pour les internautes.

Il y a en fait deux écueils dans la mise en scène des engagements dans les interfaces digitales :

  • Le premier, c’est le « Pourquoi ? ». Il est toujours gênant que l’internaute ne comprenne pas l’utilité de telle ou telle information pour un service. Pourquoi par exemple une application météo demanderait à connaître votre adresse email ? Il est important de justifier en quoi cette donnée sera importante non seulement pour le service, mais également pour le bénéfice de l’expérience utilisateur. Depuis le 25 mai dernier et l’application de la directive RGPD, c’est d’ailleurs indispensable.
  • Le second écueil, c’est le « Ça vaut vraiment le coup ? », en fait un décalage entre l’expérience promise ou vécue par l’internaute et la valeur de l’information qu’on lui demande. C’est un général une question de perception, mais cela peut également être une question de timing : demander les coordonnées téléphoniques d’un prospect alors que celui-ci n’a pas encore eu l’occasion de comprendre à quoi sert votre outil est la plus sûre façon de le faire fuir. Toute information personnelle a une valeur, même fictive, à vous de fournir à votre contact une expérience qui a la même valeur à ses yeux.

La confiance, ça se construit

Car tout est question de valeur… ou plutôt de confiance. La gestion des engagements et des ruptures revient, en expérience utilisateur, à une gestion de la confiance. A chaque fois que vous demandez à vos visiteurs de passer par une rupture – changement de plateforme, interfaçage avec un autre support – ou de s’engager – renseignement des données personnelles – vous devez lui démontrer qu’il peut faire confiance à votre plateforme.

Une confiance non seulement sur la façon dont vous allez traiter les informations qu’il vous confie. Les internautes sont de plus en plus soucieux de l’usage fait des données personnelles, et la législation RGPD – passée par là en mai 2018 – rend l’entreprise d’autant plus responsable du traitement de ses données.

Mais une confiance également en l’intérêt que va représenter votre outil, votre plateforme, votre service pour lui… et sur le fait que le temps qu’il consacre aux interactions a été bien investi.

La confiance est au final l’un des grands défis de l’UX.

Si on devait définir la place du digital en 2018, on serait sans doute bien embarrassé. Alors qu’il y a 15 ans, il y avait un moment et un endroit fixe pour les activités liées à Internet – ces fameuses 15 minutes que nous prenait la réservation d’un billet de train, et ce bureau sur le palier sur lequel était posé un ordinateur dépendant de sa prise électrique et de son modem – aujourd’hui le digital s’en insinué partout dans notre quotidien.

Digital everywhere

Le smartphone est aujourd’hui majoritaire dans nos habitudes d’accès à internet – il représente plus de 50% du temps passé en ligne et plus de 50% des requêtes sur les moteurs de recherche – mais il n’a pas pour autant tué les autres technologies. Nous utilisons toujours un ordinateur quand nous devons accéder à une procédure un peu compliquée – déclarer ses impôts, chercher un voyage… – et nous gardons notre tablette sous le coude quand il s’agit de surfer en regardant la télé ou de profiter d’un site de VoD.

Dans le même temps, de nouveaux usages arrivent. La console de jeu est devenue un mode d’accès à internet à part entière, le temps d’une vidéo sur Twitch ou d’un tuto. Les assistants vocaux commencent à peupler les foyers et répondent à certaines de nos questions… Et plus futuriste encore, nous utilisons parfois une montre connectée pour vérifier nos horaires de train, ou la connexion Internet de notre voiture pour s’assurer de la météo à destination. On n’évoquera pas les frigos connectés, les casques de réalité augmentée, les hologrammes ou les systèmes projetant des écrans sur notre peau…

Les exemples peuvent se multiplier à l’infini, ou presque : Internet est devenu ambiant. Ou est en passe de l’être.

Digital nowhere

Et en devenant ambiant, Internet a tout simplement cessé d’exister. Il s’est évaporé. Le digital a disparu. En tout cas, dans nos têtes.

On redira les chiffres : nous sortons notre smartphone de notre poche près de 150 fois par jour. Notre premier réflexe face à une question est d’interroger Google – à l’écrit ou oralement. Lorsque nous souhaitons un nouveau livre, nous ouvrons l’application Amazon et le commandons en 1 clic – livraison dans la journée garantie grâce à Amazon Prime. Et quand nous nous en ennuyons ? Nous scrollons indéfiniment les statuts de Facebook et les photos d’Instagram.

Il n’y a plus de nouveauté. Il n’y a plus de questionnement. Les outils digitaux se sont fondus dans la foule de réflexes de notre quotidien.

Il est aujourd’hui aussi naturel d’utiliser Spotify quand on souhaite un peu de musique que d’utiliser une fourchette pour manger. La phase de découverte – et le merveilleux qui va avec – s’est achevée il y a quelques années, grâce principalement à l’avènement du smartphone. On ne le dira sans doute jamais assez, c’est la fin de la connexion filaire qui a fait du digital une commodité.

Back to human

Si le digital n’existe plus dans notre quotidien, pourquoi existerait-il encore dans nos stratégies de communication ?

Provocatrice, la question mérite quand même d’être posée avec tout le sérieux possible. A partir du moment ou les cibles de nos plans de communication ne font plus la distinction entre une action concrète et une action digitale, ou un site Web a aussi peu d’impact – sensoriel, imaginaire – que l’exposition à une chaîne de télé, pourquoi ce « monde digital » devrait faire l’objet de précautions ou de stratégies particulières ?

La disparition du digital remet en fait l’humain au cœur de toutes nos réflexions. Plutôt que de se concentrer sur les écrans et les messages qu’on y diffuse, nous avons l’occasion de nous concentrer à nouveau sur l’internaute, le consommateur, l’humain, et sur les habitudes et envies qui l’animent. Cela implique de revoir quelques points dans notre façon de construire les écosystèmes digitaux :

Se concentrer sur les opportunités

Tout d’abord, il convient de se dire enfin que le digital n’est qu’un levier comme un autre. Sans remettre en question les grands principes de l’UX comme les Experience Maps ou les parcours utilisateur – ils ont leur utilité – il convient de les intégrer dans une démarche plus large et plus « humaine ».

Considérer une Experience Map purement digitale est aujourd’hui un leurre. Les interactions humaines mêlent les points de contacts digitaux et les points de contacts concrets : publicité, lectures, conversations, culture générale polluent des « parcours » qu’on imaginerait purement digitaux. Il est donc faux – ou pour le moins réducteur – de dire qu’un process de vente ne se déroule que sur smartphone et ordinateur. Il est le fruit de nombreuses interactions digitales, physiques mais aussi de réactions internes, qu’on ne peut pas toujours anticiper ou modéliser… mais qu’on peut imaginer. Cela n’enlève rien aux vertus de la démarche UX, mais il convient de rester modeste dans son approche.

Ensuite, réfléchir ses actions digitales en « parcours » ou en « tunnels », c’est assumer qu’il y a un objectif. Si un tunnel de conversion a en effet un but, un objectif – celui de réaliser une vente – cet objectif n’en est un que pour le vendeur ou l’annonceur. De son côté, l’internaute n’a peut-être comme raison de sa visite que la recherche d’information, la comparaison d’un prix en vue d’un achat en boutique, voire la curiosité pure. Tous les visiteurs d’un site ne sont pas des clients potentiels.

En réalité, la plupart d’entre nous n’avons pas d’objectifs dans nos usages digitaux.

On discute avec nos amis sur Snapchat pour le plaisir de discuter. On parcourt des sites d’actualité par routine. On regarde les réseaux sociaux parce qu’on s’ennuie… Il serait prétentieux de vouloir trouver une raison à tous nos comportements digitaux, et plus encore une logique dans l’enchaînement de ceux-ci. Nous restons avant tout humains et sommes guidés par notre curiosité, par le hasard… et de plus en plus par les algorithmes ou la présence proéminente de quelques plateformes sociales.

En fait, il faudrait, d’un point de vue macro, abandonner l’idée du parcours pour réfléchir en termes d’opportunités.

Nous ne sommes qu’une somme d’actions

Réfléchir en « opportunités », qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire ne plus partir d’un objectif digital, mais considérer l’humain comme la matière première de toute réflexion stratégique.

Plutôt que d’imaginer les prises de parole possible d’une marque, on va considérer les actions possibles d’un consommateur. Par exemple, quelles actions liées de près ou de loin à la voiture pouvons-nous imaginer pour concevoir l’écosystème digital d’un acteur de l’entretien automobile ? Certaines réponses sont évidentes : l’immatriculation, le contrôle technique, la révision, la réparation occasionnelle… Des opportunités sur lesquelles il est légitime de prendre la parole. Mais des moments plus lointains, au liens plus ténus, existent : le départ en vacances, la consultation d’un site météo, une visite sur les réseaux sociaux.

Cette suite d’actions ou d’intérêts humains, ce sont des « moments de vies » – chronologiques ou non – qui vont servir de matière première à la construction d’un écosystème digital. Pour chacun de ces moments de vie, il convient d’imaginer ce que serait la prise de parole d’une marque sur le digital. Deux exemples :

Sur un moment de vie « commercial », l’approche est simple.

Le renforcement des normes de contrôle technique a provoqué une augmentation de la demande des visites pré-contrôle technique. Effectuer cette visite pour son véhicule, c’est un moment de vie. Comment faire savoir aux consommateurs – pas forcément internautes – que notre enseigne de garage propose cette prestation ? On listera l’ensemble des points de contact sur lesquels un consommateur se rend dans ce contexte et on imaginera simplement les réponses digitales possibles. Ici, c’est apparaître sur les résultats de recherche de Google – en pages Web mais surtout sur Google Maps – ou encore être présent dans les Pages Jaunes quand les futurs clients cherchent une prestation. C’est également exister quand les internautes cherchent des informations précises sur les contraintes du nouveau contrôle technique sur des sites dédiés à l’automobile.

Rien de bien nouveau me direz-vous. Effectivement, la méthodologie des Moments de vie se rapproche ici d’une stratégie classique de media planning. Mais elle provoque des questions, notamment sur le contenu. Ce guide sur le contrôle technique, doit-il être créé de toute part sur le site Web du réseau de garage, ou peut-on se contenter d’une présence sur un site plus généraliste proposant déjà ces contenus ? Il n’y a pas forcément de réponse établie, mais il est important de considérer comme clé de cette réflexion le comportement même de l’internaute. Toutes les stratégies d’Inbound Marketing du monde ne forceront pas un consommateur à consulter un contenu sur votre site si un réflexe est déjà établi chez lui. Ainsi, on aura énormément de mal à détourner quelqu’un qui cherche une recette de cuisine de Marmiton ou de Cuisine AZ…

Partir des moments de vie, c’est accepter que le site Web ne soit plus incontournable dans la communication d’une entreprise, et que parfois les canaux les plus efficaces se trouvent ailleurs, dans la publicité ou dans les partenariats.

Trouver de nouveaux champs d’expression

Un autre exemple ? Le moment de vie « Préparation des vacances » peut-être un très bon axe de prise de parole pour notre garagiste. Près de 50% des Français partent en vacances en voiture, souvent pour le plus long trajet qu’ils réaliseront au cours de l’année.

Quelle réponse apporter ? Ne vous posez pas forcément la question des produits que vous pouvez vendre, mais plutôt des problèmes auxquels les consommateurs peuvent être confrontés.

Un long trajet ? Cela peut-être la crainte de la panne, et donc l’occasion de proposer une révision de son véhicule. C’est l’été et la chaleur, et donc l’occasion de mettre en avant un forfait d’entretien de la climatisation. C’est un long moment enfermé dans la voiture pour les enfants, et donc des activités à trouver.

Autant d’opportunités de communication qui s’offrent à vous et qui sont en rapport direct avec la vie de l’automobiliste.

Reste à trouver les supports sur lesquels votre réponse sera la plus pertinente. La longueur du trajet, elle se ressent avant tout quand un internaute recherche le meilleur itinéraire sur un site de cartographie comme Mappy. L’entretien de la climatisation est lié à la météo et aux conditions climatiques du jour de départ : s’assurer une présence sur Météo France est nécessaire, adapter son discours à la température du jour peut être un plus…

Accepter que le digital n’est pas la réponse à tout

Partir des opportunités de prise de parole, et non pas du rôle de son site web offre un angle de vue inédit sur son écosystème digital. Il permet tout d’abord de réaliser que, même pour les pure-players, le digital n’est pas forcément la réponse à tout.

Il reste forcément des moments d’interaction où consulter un site, interroger un chatbot ou sortir son smartphone n’est pas l’action la plus naturelle envisageable.

Il reste des moments, comme la consommation en grande surface, ou le temps « automobile », où la communication concrète, physique, a bien plus d’impact qu’une quelconque prise de parole sur les réseaux sociaux. Accepter cela, prendre du recul, est nécessaire aujourd’hui pour s’assurer qu’une stratégie digitale est réellement intégrée dans le « réel » et n’est pas seulement une occasion de dépenser de l’argent.

Cette approche permet également d’imaginer des prises de parole inédites, et l’association d’une marque avec des moments de vie auquel on n’aurait pas forcément pensé dans une approche UX. La démarche des opportunités de prise de parole est typiquement une des composantes de la créativité digitale.

Enfin, la somme des réponses aux moments de vie permet de concevoir un embryon d’écosystème digitale. En partant de ces « réponses », on peut cerner le rôle précis de chacun des composants digitaux de son écosystème : à quoi sert le site, à qui s’adresse-t-on sur les réseaux sociaux, qui sont les partenaires potentiels… Il devient alors plus facile de déterminer le rôle unique de chacun et les interactions qui ordonnent ces éléments. Cette vision des rôles et des interactions empêche bien des duplications de contenu – et donc des dépenses inutiles – et permet de mieux cerner le flux de son audience.

L’âge de la maturité numérique

En suivant le comportement réel des consommateurs, on accepte surtout que la transformation digitale fasse enfin son œuvre. S’il a été rêvé il y a quelques années que toute entreprise se devait d’être numérique à 100%, les récents discours et les récentes législation montrent les limites de cette vision « technologiste » de la transformation.

La transformation digitale tient surtout en l’acceptation du fait que le digital est aujourd’hui une normalité aussi bien pour les consommateurs que pour les entreprises.

Il n’est en aucun cas une réponse absolue aux besoins des consommateurs, pas plus qu’un passage obligé pour toutes les prises de parole de l’entreprise. Il réintègre sagement un empilement d’actifs de communication et de leviers de performance, avec ses propres caractéristiques, mais surtout sa propre valeur. En fait, le digital devient adulte.

Lentille connecté

On parlait il y a deux semaines de la curiosité et du temps nécessaire à celle-ci [1]. Le monde digital actuel, et la façon dont il est conçu, vise à consommer notre temps. Et nombreux sont les acteurs de la Silicon Valley et les analystes à avoir pointé ces travers. Mais deux des révolutions technologiques en cour vont avoir un impact bien plus grand sur notre temps et sur la place du monde digital dans notre vie. Un impact sur notre perception même du monde réel.

La fin des écrans

Jusqu’ici, quand on pensait au monde digital, on pensait avant tout aux écrans. Nous avons commencé à expérimenter le Web grâce aux écrans des ordinateurs. Nous avons prolongé cette expérience via tablettes et smartphones. En conséquence, notre conception actuelle des interactions digitales est basée sur un ensemble de ruptures. Des ruptures de plus en plus fines et transparentes, mais des ruptures tout de même.

Il y a 15 ans, pour chercher quelque chose sur Internet, il fallait utiliser un ordinateur et prendre le temps de la connexion et de la recherche, éplucher plusieurs résultats avant de trouver l’information ou le produit que nous voulions. Et souvent, avant d’acheter quelque chose en ligne, nous devions par exemple vérifier la fiabilité du site sur lequel nous souhaitions effectuer un achat.

Il y a 15 ans, le temps digital était un temps dédié, un « Attends, je vais regarder sur Internet ».

Avec les tablettes et les smartphones, mais aussi avec l’habitude d’utilisation et la confiance en l’univers digital, ces ruptures se sont réduites. Aujourd’hui, nous avons gardé le réflexe du « Je vais regarder sur Internet. », mais ce réflexe est devenu à la fois plus rapide et nomade. Plus rapide, parce que le smartphone est dans notre poche en permanence et qu’il est facile de le sortir, le déverrouiller et de taper une requête. Nomade, parce que nous avons désormais accès à une connexion permanente, continue, qui nous permet d’accéder à l’univers digital dans la rue, le métro ou en voiture.

Les seules ruptures qui subsistent encore dans notre expérience digitale, ce sont les ruptures de l’attention et de la manipulation. Le smartphone sollicite à la fois nos mains et nos yeux et nous oblige à nous concentrer sur la manipulation qu’il impose. Le regard se pose sur le smartphone, captant notre attention et interrompant la conversation en cours. Les mains sont nécessaires pour activer les interfaces tactiles de notre téléphone, stoppant les autres actions en cours. Attention et manipulation sont aujourd’hui les frontières du monde digital – tant il est devenu naturel d’y recourir ou d’anticiper son usage dans notre cerveau. Et ces frontières sont sur le point d’être abolies.

La fin de la déconnexion

La fin de la séparation « physique » entre le monde réel et le monde digital – effet de vocabulaire, le monde digital est aussi « réel » qu’un autre – a débuté en 2011 avec l’intégration de l’assistant Siri aux iPhones. En proposant un programme permettant d’interagir par la voix, de formuler ses questions vocalement et d’entendre les réponses, Apple a réduit une des ruptures évoquées plus tôt, celle de l’attention : plus besoin de détourner le regard vers un écran pour interroger le Net et commander un taxi ou savoir qui était roi de France en 1463. La formulation de la réponse à l’oral contribue de la même façon à la continuité de l’expérience réelle. Siri se glisse dans la conversation assez naturellement.

La seule rupture reste celle de la manipulation : déverrouiller le téléphone, lancer le programme de l’assistant. Et cette seconde rupture est en train de disparaître grâce aux assistants vocaux qui vont rapidement peupler nos maisons. Les bornes Google Home ou Amazon Alexa, en restant en permanence aux aguets et en se dispensant d’écran, se glissent naturellement dans les interactions quotidiennes. Au bureau, il devient « normal » au cours d’une conversation entre collègue d’interpeller Google pour lui demander une précision. Il y a peut-être encore un peu de dérision, de digression, dans cette demande… principalement du fait que toute nouveauté technologique semble un gadget pour geeks aux premiers utilisateurs, mais les usages s’installent doucement.

L’interaction vocale devient naturelle, et porte en elle l’avènement du web ambiant.

Le web ambiant : c’est justement la fin de la déconnexion et du monde digital tel qu’on le connaît depuis 25 ans.
Avec l’avènement des assistants vocaux domestiques, le Web n’est plus un outil supplémentaire accessible le temps d’une demande, il est une couche d’information supplémentaire de la réalité, qui ajoute un degré de connaissance ou de service aux interactions quotidiennes.

Les audioguides des musées (ici au Louvre), une expérience concrète de réalité augmentée

Les audioguides des musées (ici au Louvre), une expérience concrète de réalité augmentée

Pour certains, l’audio est même la première expérience de réalité augmentée vraiment réussie et populaire. Les audio-guides des musées, en commentant œuvres et salles, répondent à cette définition d’une surcouche informative sur la l’expérience concrète, physique.

Reste, pour que la frontière monde concret / monde digital ne disparaisse concrètement à imaginer des interfaces et expériences qui iront plus loin que la voix.

Les expériences visuelles de réalité augmentée – de réalité modifiée, diminuée, altérée… quelque soit le terme employé – ne sont pour l’instant que des expériences. En cause ? Principalement les défauts d’interface des terminaux qui ne permettent pas aujourd’hui de gommer les ruptures de manipulation entre le monde physique et digital.

Il faut toujours enfiler un casque, dépendre d’une connexion, lever son téléphone ou sa tablette… Autant de gestes qui rompent l’expérience concrète et rendent l’expérience augmentée / alternative plus technologique que pratique.

Second Life, ou le fantasme de l'univers virtuel indépendant, est toujours actif depuis 2007

Second Life, ou le fantasme de l’univers virtuel indépendant, est toujours actif depuis 2007

Soyons honnêtes, les univers virtuels imaginés dans la science-fiction (Neuromancer, Snow Crash ou Ready Player One) ont peu de chance d’aboutir réellement. Les expériences réelles similaires, si elles sont restées très ludiques et geeks (Le deuxième monde ou Second Life) n’ont pas abouties principalement du fait de freins matériels : la rupture de manipulation, d’usage et d’interface nécessaire pour se projeter dans ces univers.

Et pourtant, les prototypes pratiques d’application ne manquent pas (affichage des avis des lecteurs en librairie, localisation des hôtels proches…). Mais ils se popularisent difficilement aujourd’hui, faute d’interface naturelle. L’aspect ludique domine, principalement grâce à SnapChat et à ses lens et à Pokemon Go… sans pour autant créer une véritable usage quotidien sorti de celui de la messagerie.

Si la popularité du jeu est indéniable, Pokemon Go! n'a pas pour autant démocratisé la Réalité Augmentée

Si la popularité du jeu est indéniable, Pokemon Go! n’a pas pour autant démocratisé la Réalité Augmentée

Les Google Glass sont, à date, la tentative la plus aboutie de créer une interface pratique de réalité augmentée visuelle. Leur arrêt en 2015 a signé une fin temporaire des développements liés à un web ambiant visuel, laissant la réalité alternative visuelle dans le champ de la science-fiction (The Circle, Black Mirror), de la publicité (Coca Cola) ou du jeu vidéo (Sony)… Quand les prototypes de lunettes proposés par Facebook ou de lentilles connectés imaginés par Google verront le jour et seront adoptées, alors le Web ambiant sera une réalité et on pourra parler de la fin du monde digital. Ce n’est qu’une question de temps.

La fin de la réalité ?

Mais si l’on anticipe un monde sans rupture entre digital et concret – oublions le terme de réel – il va falloir également anticiper les dérives possibles de cette imbrication. Pas tant celles de la connexion permanente, car si cette connexion devient transparente et « augmentée », elle posera moins de question sur l’isolement du concret qu’elle ne le pose actuellement, mais les dérives liées aux contenus mis à disposition dans ce digital ambiant.

Yantra, le premier robot journaliste indien se charge de trouver les sources d'information, de les recouper et de fournir une première analyse aux rédacteurs humains

Yantra, le premier robot journaliste indien se charge de trouver les sources d’information, de les recouper et de fournir une première analyse aux rédacteurs humains

L’avalanche de contenus produits dans les espaces digitaux a déjà été pointée du doigt de nombreuses fois. Au bruit humain – la répétition des informations, les contenus créés uniquement à objectif marketing – s’ajoutent désormais les contenus créés artificiellement, par des programmes informatiques et des intelligences artificielles. Les robots journalistes ne sont pas une nouveauté, ils ont été testés par de nombreux portails Web, dont Yahoo!, au cours des dix dernières années. Ils étaient destinés, avant tout, à faciliter une création de contenu à moindre coût pour les grands sites d’information.

Actuellement, ce seraient plutôt les programmes de manipulations d’images et de vidéos qui feraient les choux gras des experts.

Les intelligences artificielles de Microsoft ou de Google sont capables de mixer des photos pour recréer des ambiances (adapter un coucher de soleil sur une vue de la campagne par exemple…) ou de créer de toute pièce une photo à partir d’une description textuelle. Plus effrayant, les dernières manipulations d’images permettent de coller un discours sur un visage ou de greffer le visage en particulier sur un film porno – les fameux DeepFakes – le tout en vidéo.

DeepFake, l'algorithme capable de copier n'importe quel visage dans n'importe quelle vidéo... est également utilisé pour manipuler les films pornographiques

DeepFake, l’algorithme capable de copier n’importe quel visage dans n’importe quelle vidéo… est également utilisé pour manipuler les films pornographiques

Ces possibilités de manipulation massive des images vont créer deux travers : tout d’abord la multiplication des « versions » de la réalité – un même contenu pourra exister de plusieurs façons, avec plusieurs ambiances ou plusieurs acteurs – mais surtout un doute permanent dans notre esprit sur les images que nous voyons.

Prenez ces possibilités de création et d’altération massive des contenus – rendues possibles par la croissance exponentiellement de la puissance de calcul – et mêlez-les aux possibilités du Web ambiant – la superposition sonore ou visuelle – et à la puissance des algorithmes que nous évoquions dans l’article précédent – un contenu ciblé par utilisateur. Effrayant ?

Terra Incognita

Oui. Ce qui se dessine en superposant les innovations technologiques les plus récentes ressemble naturellement une dystopie. Les derniers développements de l’omniprésence numérique n’incitent pas à l’optimisme – que l’on parle de la diffusion massive de fausses actualités pendant la campagne présidentielle américaine, ou de l’exploitation des données personnelles des utilisateurs de Facebook par Cambridge Analytica.

Un futur où la déconnexion n’existe plus nous expose de fait à des manipulations permanentes, voire à un travestissement du monde concret.

Pour autant, les initiatives pour créer de la richesse, à défaut d’honnêteté, à l’aide d’outils digitaux existent. Qu’ils s’agissent d’interfaces à la Tinder créées pour favoriser l’exposition au hasard – l’interface, pas forcément l’algorithme qui est derrière – que ce soit des initiatives éditoriales comme Artips ou des mécaniques audios proches de la radio – les Podcasts – ou encore l’économie des Box qui surfent sur l’inconnu que peut contenir un coffret chaque mois. Ces mécaniques favorisant la découverte de nouveaux produits, de nouvelles informations ou de nouvelles cultures sont nombreuses.

Il nous reste à imaginer une exploitation concrète de ces mécaniques, toutes plus ou moins issues de la philosophie de l’hypertexte, dans le monde hybride qui s’annonce. Une mécanique permettant non seulement d’enrichir, mais surtout d’agrandir le monde concret en y ajoutant des occasions d’être curieux. Loin de l’image d’un Ready Player One qui met en scène un monde virtuel fermé, et qui enferme ses visiteurs, on construirait au contrairement un univers où les interactions entre concret et virtuel servent à l’enrichissement « culturel ».

Une sorte de dystopie positive.

Le meilleur des deux mondes.

Maze

Le titre, et le sujet aussi, sont provocateurs.  Mais ils prennent leur source dans une véritable réflexion et dans la mise en perspective de nombre de tendances digitales établies de ces dernières années.

Le digital nous enrichit-il vraiment ?

Mais avant de s’expliquer plus avant, il serait bon de redéfinir la notion de Sérendipité, avant même de parler de Curiosité. Le mot en français n’existe pas réellement, ou en tout cas n’a pas la légitimité du terme original anglais : Serendipity. Le mot regroupe à la fois l’idée de “bonne nouvelle”, de “chance”, et de “rencontre impromptue”.

La sérendipité, ce serait la capacité à trouver ce qu’on ne cherche pas.

La possibilité de dénicher, au détour d’un parcours, d’un lien, d’un flux d’infos… une information ou une donnée qui ne nous est pas utile dans l’immédiat, qui n’est pas l’objet de notre navigation ou de notre recherche, mais qui est agréable, enrichissante ou utile dans la suite de notre vie. Une capacité à “tomber sur quelque chose”.

Il s’agit au départ de quelque chose de très physique — de matériel. La sérendipité est liée à une navigation hasardeuse : parcourir les rayons d’une bibliothèque, fouiller un bac à disques… et y trouver un auteur, un artiste, qu’on ne cherchait pas mais qui pique quand même notre curiosité…

La sérendipité est aussi quelque chose de central dans la conception même du Web à ses origines. Sans forcément dire qu’elle est un design volontaire, la sérendipité est forcément sous-jacente dans la notion d’hypertexte, ces liens qui structurent le Web. La conception originelle du Web, c’est bien cette capacité à donner accès à des informations complémentaires — sans forcément de liens directs avec l’information de base — et donc de s’écarter de son sujet d’origine pour découvrir de nouveaux pans de culture. C’est le modèle de la Wikipedia, qui par lien croisé sur différentes notions permet de passer en 4 clics de la description d’un album d’Hawkwind au fonctionnement de la turbine électrique…

Complément de la curiosité humaine, la sérendipité c’est la capacité à proposer un champ le plus large possible d’information disponible.

Des champs de culture qui se réduisent….

Or, ne sommes-nous pas en train de réduire la largeur de ce champ… Tout d’abord par le biais des usages numériques eux-mêmes. J’avais été marqué il y a quelques mois par un article du New York Times expliquant la perte de culture générale de la jeune génération par la perte de supports physiques de cette culture.

fouiller des bacs, la base de la sérendipité

Petit, je fouillais le bac à vinyles de mon père ou de mes sœurs. Le cow-boy sur la pochette d’une compilation de Johnny Cash piquait ma curiosité… même si à l’époque l’écoute du disque m’a déçu. Ce support physique, cette pochette, a été la première “prise” avec cette musique : le levier concret de la curiosité. L’approche digitale rend cette curiosité moins facile.

Physiquement d’abord : Il faut allumer l’ordinateur, la tablette, le mobile, il faut lancer l’application et lancer la musique. Ces actions se font à dessein, on sait déjà la musique que l’on veut mettre avant que l’iPod ne démarre… En usage ensuite : en 20 ans, on est passé d’un Web éditorial à un web de recherche, et nous sommes doucement en train de passer au web social.

  • En 1999, sur Yahoo!, trouver une information demandait de parcourir un annuaire et une catégorie de contenu. Et potentiellement de trouver la homepage d’un site qui ne répondait pas “exactement” à sa recherche.
  • En 2010, Google et son moteur (plus de 90% des recherches Web en Europe occidentale) ont fortement changé cet usage, et l’attente de l’internaute.

Celui-ci s’attend désormais à avoir une réponse précise à une question précise, et le plus rapidement possible. La promesse de Google est de ne pas perdre du temps et d’assurer la pertinence. Cela implique de ne plus “se perdre” — au sens flâner — dans des informations tierces, et donc de limiter au maximum son exposition à la sérendipité. Google a d’ailleurs l’ambition de répondre à de plus en plus de questions en direct. Des interfaces mobiles comme Google Assistant — ou Siri chez Apple,ou les Chatbots de Microsoft et Facebook/Messenger — préfigurent exactement cette future plateformisation des requêtes et de l’information.

Google et les autres géants digitaux veulent limiter l’exposition de l’internaute à des éléments extérieurs à leur écosystème, en affichant directement les horaires de vol, la météo ou l’information (on pensera aux développements de Google AMP ou de Facebook Instant Articles dans le monde des médias) dans leurs propres pages. D’un point de vue économique, et surtout efficacité, c’est extrêmement pertinent. Dans une société qui considère le temps disponible comme la première de ses ressources, c’est complètement en phase.

Mais il faut avoir du temps pour être curieux, il en faut plus encore pour se permettre de se “perdre”, même virtuellement… Alors que les plateformes du Web promettent de l’efficacité.

Un environnement social peuplé de clones ?

Ajoutons à cela les réseaux sociaux. Ils sont aujourd’hui, pour les plus jeunes générations, la véritable porte d’entrée du Net (et plus du Web). Facebook notamment, mais aussi Snapchat ou Whatsapp.

Ils sont de formidables vecteurs de conversation — utilisateur d’IRC il y a 20 ans, je suis convaincu de la puissance relationnelle et conversationnelle d’Internet — mais ils sont aussi de terribles « limitateurs d’horizon ». L’accès à Facebook se fait par un réseau d’amis et de pages — ou de marques — avec lesquelles je me suis identifié comme affinitaire. Potentiellement, je vais donc m’exposer à l’information provenant d’une communauté fermée — au sens limitée en envergure et peu livrée au hasard — et bien souvent construite à mon image, à mes goûts.
C’est un travers humain normal : j’échange plus facilement avec des personnes dont je partage les intérêts ou les penchants. Mais reporter ces partages d’intérêts à un groupe de 500, voire 1000 contacts sur Facebook garantit forcément à un phénomène d’amplification rapide des mêmes messages.

Il faudrait se pencher à nouveau en détail sur les notions d’appartenance et de micro-culture que Chris Anderson détaillait il y a 10 ans dans The Long Tail.

Cet ouvrage structurant pour la pensée digitale est finalement toujours d’actualité. Il l’est peut-être plus encore à l’heure des communautés digitales fortes, et permet d’appréhender bien des comportements du Net et la capacité à partager autour d’un socle commun de culture digitale.

Le phénomène des mêmes est y également lié dans une certaine mesure… Il contribue à constituer des micro-communautés culturelles auxquelles nous nous soumettons et qui restreignent notre champ de recherche. L’émergence d’un Instagram, d’un Snapchat ou Whatsapp sur ce point est encore plus marquant, Il s’agit bien souvent de réseaux fermés, où la logique d’hypertexte structurante pour le Web n’existe plus. Et pour prendre l’exemple de Snapchat, où la prise de contact “au hasard” n’est plus possible — il faut connaître l’identifiant ou le numéro de téléphone de quelqu’un pour échanger avec lui. Les chances d’exposition à un contenu non “validé” ou “moulé” par la micro-communauté sont d’autant plus minces. L’influence des micro-cultures et les risques de clonages sont d’autant plus forts.

D’autant que ces réseaux — Facebook, mais aussi Instagram ou Twitter dans une certaine mesure — se donnent comme mission de favoriser l’engagement. Un terme vaste, quasi impossible à définir, mais qui désignerait en gros l’intérêt d’une personne pour un contenu, son temps de cerveau disponible — pour reprendre une formulation qui aura fait polémique en France — la part de ce temps de cerveau qu’il est prêt à consacré à une information. Cela se concrétise par une lecture, un “Like”, un partage… Une unité mesurable d’intérêt qui n’a pas réellement de prix mais devient un objectif en soi dans le monde digital de l’engagement.

Brand Content et Data, cocktail dépressif ?

Cette économie de l’attention a provoqué deux changements majeurs dans le pilotage des activités digitales : la Programmatique et le Brand Content.

La programmatique, c’est le “tout algorithme”. Des ordinateurs se chargent de décortiquer vos habitudes pour connaître ce qui vous engagent le plus et déterminent ainsi les contenus qui ont le plus de chance de prolonger cet engagement.

Vous êtes abonnés à l’Equipe et Foot365 et likez régulièrement les actualités parlant du PSG ? Il y a fort à parier que l’algorithme vous poussera en priorité des contenus liés au championnat de France de football ou à la Ligue des Champions…

Publicité ciblée, comme dans les films

De fait, les algorithmes régissent la majorité des expositions médias en lignes : la timeline de Facebook n’est pas linéaire, celle d’Instagram non plus, et la majorité des publicités servies sur le Web le sont par des plateformes programmatiques. Si on parle réseaux sociaux et publicité, 80% des contenus que l’on consulte sont exposés à nos yeux sans décision humaine, mais par un robot qui pense que nous avons beaucoup de “chance” — statistiquement parlant — d’aimer et de consulter ce contenu.

Le Brand Content, marketing de contenu à la mode, découle également de cette logique d’engagement. Il y est même directement lié. La perte de prise de la publicité traditionnelle — causée principalement par Adblock et les changements de supports digitaux, c’est à dire cette plateformisation et l’utilisation des réseaux sociaux comme porte d’entrée du Net — impose aux marques d’autres méthodes de prise de parole.

Le contenu — texte, image, vidéo — se prête merveilleusement aux habitudes de consommation digitale actuelles, cherchant toujours cette capacité à profiter de l’attention disponible, à générer de l’engagement. Le discours des marques devient en conséquence lui-même programmatique, prévisible.

Pour toucher un internaute, on va utiliser les codes de communication et le socle culturel qu’il connaît, non pas pour le “surprendre” — l’exposer à de l’inédit — mais pour y raccrocher l’univers de la marque que l’on promeut.

La tendance au News-Jacking qui fait rage sur Twitter notamment, ce détournement d’une actualité par Oasis ou Voyages-SNCF, n’est que ça : intégrer la marque dans l’univers culturellement rassurant de l’internaute. Rien d’autres.

Plaire au public pour augmenter son audience ?

Et l’émergence des médias spécialisés sur une cible jeune — Melty en France, Buzzfeed à l’international, en sont la parfaite illustration, la nouvelle génération des Youtubers dont ils se portent garant également — n’est que l’expression économique de cette stratégie. Buzzfeed ne promet pas de créativité, il promet de faire entrer une marque dans l’univers culturel identifié et fermé de la cible jeune. De faire entrer l’histoire d’une marque — souvent longue et riche — dans un moule de communication restreint. Et forcément d’appauvrir son imaginaire de référence. La presse traditionnelle investit d’ailleurs ce même créneau avec le lancement de sites et de titres de plus en plus accès sur des niches d’opinion ou de culture : le but est simple, faire coller à des sujets de sociétés un traitement qui soit proche – culturellement – des cibles vidées.

Pour Vice, toute information est à traiter sous un angle pseudo-pornographique ou choquant. Pour Slate, tout est polémique et urbain.

Ce n’est pas une ouverture des points de vue du lectorat, c’est une restriction de la thématique pour la faire entrer dans un cadre culturelle défini.

Quelle place laissée au hasard ?

Au final, le portrait n’est pas reluisant : entre numérisation, recherche, communauté, algorithme et Brand Content, quelles sont les réelles chances pour un internaute d’être exposé — ou d’avoir l’opportunité d’être exposé — à de l’inédit ?

Elles se réduisent au fur et à mesure de l’évolution des usages, et au fur et à mesure que le “temps disponible” des consommateurs se voit grignoter par des suggestions et des « Vous aimerez aussi ».
Pourtant, les solutions existent. Différentes interfaces comme celles de la Wikipedia ou de Tinder, des plateformes de curation humaine et de mise en relation comme Twitter sont autant de pistes par lesquelles pourrait revenir la surprise dans le quotidien des internautes.

Mais être curieux demande du temps, de la disponibilité. La sérendipité demande du temps libre… Et tout l’objectif du digital aujourd’hui est d’exploiter le temps libre et d’en maximiser la valeur… En diminuant la place laissée à l’errance et au hasard. Alors luttons, pour garder le temps d’être curieux !