Il semblerait donc qu’en cette fin d’année, les Intelligences Artificielles aient décidé de totalement chambouler le monde de la création. On les savait déjà capables de détecter des cancers précoces ou de piloter des voitures. On les sait, depuis cette année, capables de s’inspirer des plus grands artistes pour créer des – ouvrez les guillemets – œuvres d’art et plus récemment encore de tenir une conversation d’un niveau presqu’humain avec un autre humain.

Les Intelligences artificielles seraient-elles réellement devenues aussi intelligentes que leurs créateurs. Retour sur un mythe qui a la peau dure.

Papa, c’est quoi une IA ?

Mais d’abord, c’est quoi exactement une intelligence artificielle ?

Une Intelligence Artificielle, qu’elle assiste un médecin ou fasse des gribouillis, n’est avant tout qu’un programme informatique. Une suite d’instructions logiques, codées avec plus ou moins de complexité, qui édicte les réactions d’un ordinateurs ou d’un robot. Un petit retour dans le Dictionnaire Larousse de l’Informatique de 1981, pour la forme, confirme les limites du concept :

« Parler d’intelligence artificielle constitue, en fait, un abus de langage, puisque l’automate est basé sur un modèle (un ou plusieurs algorithmes) qui réagit uniquement suivant les stratégies préétablies. »

Depuis 1981, la technologie et les capacités des machines ont certes évoluées. Et les derniers développements en informatiques permettent d’envisager des programmes évolutifs, c’est-à-dire capable d’apprendre rapidement à partir d’un lot de données et de faire évoluer leur comportement au fur et à mesure de leurs interactions avec les utilisateurs. D’où, d’ailleurs, les multiples prototypes de programmes ouverts au grand public sur le Net. L’engouement qu’ils provoquent permet de « nourrir les algorithmes » et d’assurer rapidement un volume de données de test à ces derniers pour en améliorer les performances.

Mais pour évoluée qu’elle soit, l’intelligence artificielle ne reste aujourd’hui qu’un programme informatique presque comme un autre. Simplement, les unes de la presse provoquent bien souvent plus de clic sur un « Une intelligence artificielle apprend seule l’espagnol » que sur un « Un programme informatique bat le meilleur joueur de bridge de la planète. » Toute question de respect pour les joueurs de bridge mise à part.

L’intelligence, réelle, comparable à celle des humains, n’est pour l’instant qu’une affaire de science-fiction. Et le HAL 9000 de l’Odyssée de l’Espace n’a pas encore vu le jour.

Détecter l’intelligence.

Mais, en admettant qu’une intelligence artificielle émerge, dans les prochains mois ou prochaines années, des milliards de lignes de code produites chaque jour, une question demeure : serions-nous à même de la détecter ? De la reconnaître ?

La question est importante et a occupé l’esprit de plusieurs scientifiques et auteurs de science-fiction. On en retiendra trois dont les réflexions gravitent autour de cette question.

Tout d’abord, Carl Sagan, scientifique et astronome américain à l’origine entre autres du programme de détection des intelligences extraterrestres SETI. Carl Sagan s’est longtemps posé la question de la possible détection d’une intelligence non-terrienne, existant quelque part dans l’univers. C’est une affaire de probabilité – pouvons-nous réellement être seuls dans cette immensité – mais également de capacité à reconnaître l’intelligence. Comment, dans la foule des ondes et des sons émis par les corps célestes pourrions nous reconnaître un schéma, un bruit, une forme qui, nous en serions certains, serait produite artificiellement ? La question est bonne et Carl Sagan n’y apporte pas de réponse ferme. Il émet simplement des hypothèses. Mais force est de constater que la recherche d’une intelligence extraterrestre et l’espoir en une intelligence artificielle ont de nombreux points communs.

En fait, c’est Alan Turing, dans les années 1950, qui se sera penché le premier sur l’intelligence des machines, se posant une question centrale : les machines ont-elles la capacité de réfléchir. Il n’apporte, lui non plus, pas de réponse directe, mais imagine un test pour détecter cette intelligence. Isolez une machine dans une pièce et assurez-vous que celle-ci ne puisse communiquer qu’à l’aide d’un terminal informatique. Placez un humain à l’autre bout de ce terminal et demander lui d’entamer un dialogue. Si au bout de ce dialogue, il ne peut savoir si son interlocuteur est numérique ou humain, alors la machine aura réussi le test de Turing et pourra être déclarée intelligente. L’intelligence de la machine devient dépendante de la perception humaine. Alan Turing défend son test lui-même dans ses écrits, précisant que l’intelligence est finalement un mécanisme interne et que nulle ne peut en juger de l’extérieur.

La réflexion sera, grosso-modo, la même chez l’auteur de science-fiction Philip K. Dick dans les années 1960. Dans la nouvelle qui deviendra Blade Runner, il imagine le test de Voight-Kampff : une épreuve basée sur la compréhension des situations stressantes, humiliantes et sur l’analyse des émotions, ou plutôt de leur manifestation. Un androïde, réfugié sur Terre, ne réagira pas comme un humain à certaines hypothèses et pourra donc être identifié par le Blade Runner, le détective chargé de le traquer. Là encore, comme chez Turing, l’appréciation de l’humanité est laissée à la discrétion d’un humain. Et Philip K. Dick évoque explicitement les possibilités d’erreur dans son roman : oui Deckard, le héros, a déjà « retiré » un humain par erreur.

Un air de magie.

La question n’est donc pas tant de savoir si une machine est devenue intelligente, que de savoir comme nous percevons cette supposée intelligence. Si nous avons envie d’y croire. Tout comme pour un tour de magie.

La magie, on le sait, est l’art de détourner l’attention et de montrer ce à quoi le public est prêt à croire. Le prestidigitateur qui s’emparera de votre montre vous aura d’abord incité à regarder ailleurs. Les cartes n’apparaissent pas subitement. Elles sont toujours quelque part, mais vous n’y prêtez pas réellement attention.

Pour l’intelligence artificielle, c’est la même chose. On l’a dit : une IA n’est qu’une suite d’instructions plus ou moins très complexe qui exploite une base de connaissances existantes pour fournir un nouveau résultat. Une intelligence artificielle ne réfléchit pas, elle assemble, compile des données. Ainsi, les programmes qui veulent aujourd’hui remplacer les artistes utilisent avant tout des banques d’images par milliers et en croise les métadonnées et les références. Les programmes qui dialoguent avec vous ont été nourris avec des centaines d’articles et d’histoires avant de vous être présentés.

Il n’y a pas de magie derrière tout cela, pas plus que d’intelligence. Mais si on n’y regarde que rapidement, ou si l’on ne se penche pas sur les arcannes de ces nouveaux compagnons, on serait tenté de se bercer d’illusions et de voir dans ces programmes des êtres doués de raison.

Et pourquoi pas ?

La seule question finalement, c’est : Avez-vous réellement envie d’y croire ?