Les augures numériques semblent donc prédire la fin des médias sociaux pour l’année à venir. Il faut dire que Twitter n’en finit plus, depuis deux semaines, d’être chahuté suite à son rachat par Elon Musk. Entre licenciements de masse, effets d’annonce et fin assumée de la neutralité politique, le réseau à l’oiseau bleu est peut-être, effectivement, en train de vivre son chant du cygne. De son côté, Facebook, empêtré dans la promesse du métaverse, a lui aussi annoncé des suppressions de poste massives, et l’action du réseau de Mark Zuckerberg n’en finit pas de dégringoler en bourse. Là aussi, l’avenir semble sombre pour la plateforme qui fut, il y a longtemps déjà, le symbole du Web 2.0.
Aussi, les analystes comme ceux de The Atlantic l’annoncent : voici venir la fin de l’ère sociale du Net. Enfin, plus précisément de cette ère des médias sociaux qui a commencé il y a presque exactement 15 ans.
Qu’est-ce qu’un média social ? Comme son nom l’indique, ce n’est pas précisément un réseau, une mise en connexion d’individus. Facebook ou Instagram ont perdu le focus sur cette fonctionnalité depuis bien longtemps. Les plateformes sociales actuelles – Facebook, Twitter, TikTok également – sont des machines à traiter et diffuser du contenu, comme peut l’être une chaîne de télévision ou un journal quotidien. La seule différence avec ces médias traditionnels, c’est que sur les grands réseaux du Web 2.0 ce contenu n’est pas créé, imaginé, rédigé, produit, par des professionnels mais par monsieur et madame tout le monde. C’était en tout cas la promesse originelle de chacun d’eux, de tous puissent partager et s’exprimer en ligne. Une promesse qui résonne avec celle des premiers hébergeurs gratuits du Web.
Seulement voilà, les choses ont changé et les plateformes sociales sont devenues de véritables empires médiatiques dont les pratiques ont suscité de plus en plus de questions. La faute à la publicité, puisqu’il faut bien trouver un moyen de monétiser, rentabiliser, ces millions de contenus diffusés. La faute aussi au progrès technologique et à la possibilité pour chacun de développer des contenus de plus en plus sophistiqués et professionnels, donnant naissance à une véritable industrie de l’influence. La faute enfin aux algorithmes, qui sous couverts d’optimisation des expériences, ont créé des bulles et des systèmes d’amplification dont les conséquences sont nombreuses.
On retiendra de l’ère de médias sociaux leur emprise sur notre quotidien et sur nos habitudes – le doomscrolling et leFOMO – quelques scandales d’influence politique comme Cambridge Analytica et le Brexit et ce moment où les entrepreneurs de la Silicon Valley se sont vus l’égal des plus grands dirigeants de la Terre.
Mais pour certains, les médias sociaux avaient également leurs vertus. Celle, malgré l’omniprésence des algorithmes, de parfois nous exposer au hasard. Cette capacité, la sérendipité, à nous aider à trouver ce que nous ne cherchions pas réellement, au détour d’un Tweet ou d’une photo. La vertu également de rendre facile l’identification et le contact des personnes, le croisement des idées, le tissage et le partage des liens. Sur les médias sociaux, le monde était accessible, ou en tout cas semblait l’être, et chaque individu ou organisation était à portée d’un Tweet ou du DM.
Oui les médias sociaux avaient – aussi – cette vertu.
Si demain, comme le prédisent certains analystes, les réseaux sociaux s’écroulent réellement, le Net survivra. Ils ne sont qu’une facette d’un réseau décentralisé qui en cinquante ans a vécu plus d’une révolution technologique. On a assisté, depuis l’arrivée de l’Internet grand-public, à la fermeture de tellement de services et de plateformes que quelques-unes de plus – aussi pharaoniques qu’elles soient – ne changera pas la donne. Les habitudes se prendront en d’autres lieux : peut-être sur Mastodon, peut-être en réel, peut-être ailleurs.
Mais pendant un temps, le Net se contractera et certains d’entre nous auront l’impression d’un brouillard se posant sur l’horizon. Les contacts lointains demanderont plus d’efforts, de trajets, de correspondances pour être atteints. Certains se perdront de vue, d’autres horizons s’ouvriront peut-être. Mais certains disparaîtront également.
C’est un autre Net qui s’ouvrira.
Sur lequel il faudra apprendre à faire jouer notre curiosité et notre soif d’échange autrement.
Bienvenue sur le Net d’après.