Les agences digitales ont toutes un supplément d’âme. Heureusement. Elles en feront bientôt bon usage. Au panthéon des anciennes professions.

Aux funérailles des agences digitales

Vous êtes conviés aux funérailles, et en musique !

Souvent, pour vendre, accrocher ou piquer la curiosité d’un client, un patron d’agence utilise un effet de manche : un chiffre marquant ou une anecdote tirée de son expérience unique, de haut vol, suscitant chez le prospect-client des stimulus cérébraux qui rapprochent conjointement la main du portefeuille et le tampon du P.O. L’une des tendances de fond de ces derniers mois était l’uberisation. Tous les secteurs y passaient. Du fleuriste aux pompes funèbres. En cherchant bien, une étude doit même porter sur l’uberisation des VTC. Le schéma était classique, facile, aisé à mettre en place. Le rasoir à trois lames de la réunion client :

  • Une première lame relève le poil : votre métier va se faire uberiser, vous êtes le prochain sur la liste.
  • Une seconde lame coupe au plus court : la preuve, regardez, fastoche, j’ai justement ici quelques slides qui vous le montrent aussi vrai que la terre est plate et tourne autour de la lune.
  • Un petit ruban d’aloe vera soigne la plaie : heureusement, folle coïncidence, il se trouve que j’ai ici aussi quelques slides qui vous montrent comment pour une somme dérisoire nous pouvons vous accompagner sur ce chemin semé d’embûches.

Mais voilà qu’à côté du supplément d’âme on trouve parfois un soupçon de probité intellectuelle qui amène le patron d’agence à se demander comment, lui, il se ferait raser de plus près en s’uberisant. Le patron d’agence prend alors sa plus belle plume et se plie à l’exercice. S’il se faisait uberiser, lui, est-ce que ça ferait mal, Docteur ?

Résumons, pour le propos de la démonstration, les missions de l’agence digitale :

  1. Humer l’air du temps, le zeitgeist des usages et pratiques. A l’écoute des tendances à l’aune de la connaissance de son client.
  2. Adapter et déployer outils de communication dans l’écosystème du client pour répondre, servir et résonner avec la petite mélodie du quotidien consommateur
  3. Mesurer, jauger, ajuster, arrêter.

Essayons d’imaginer que ces trois missions soient rebattues sous la houlette de l’automatisation intelligente la plus poussée. Jusqu’où irions-nous, quelle place resterait-il pour le planning stratégique, les études, le design, la rédaction, le développement, le test, le service ? On en revient au supplément d’âme, à la mise en bière. Voici pourquoi.

Humer l’air du temps

Est-il réellement nécessaire de détailler comment cette mission est déjà très largement dévolue aux algorithmes ? L’intervention humaine se limite souvent à de l’ajustement balistique pour corriger le tir (Gates, de Bill, pas les ponts, ce genre d’actions qui demandent, a minima, la médaille Fields). De nombreux logiciels proposent la recherche et la qualification automatique d’influenceurs et l’estimation du volume d’affaire additionnel qu’ils peuvent générer pour une marque si elle fait appel à eux. Le développeur des algorithmes ou l’éditeur de solutions savent quels sont les nouveaux canaux à inclure, surveiller et considérer. Tout peut être hiérarchisé, cartographié ou le sera sous peu. Plus de terra incognita digitale. Du contenu d’une discussion à la tonalité de celle-ci, rien n’échappe aux algorithmes.

Donc, pas besoin d’une agence.

Adapter et déployer

Le développement à façon, la bonne vieille solution maison comme maman savait la coder, fait office de Dodo du digital. A fonctionner toute seule dans son coin sans voir le monde tourner autour d’elle, elle accueille à bras ouverts les premiers navigateurs hollandais qui arrivent les bras chargés d’API et de logiciels interopérables. Tout le monde s’interconnecte et s’interface sans grand effort. Même les solutions réputées forteresses de Massada du digital sont désormais aux avant-postes de l’ouverture (qui a déjà essayé de dialoguer avec une plateforme Exchange en 2005 appréciera les templates de connectivité Microsoft Flow). Si le sujet de la maîtrise de la donnée reste une problématique, l’utilisation de solutions répondant à des normes d’échange et de dialogue devient la règle. Les principaux éditeurs de solutions ne s’y sont pas trompés en proposant des solutions on premise, installées sur site, ou en offrant des versions de leur outils dédiées au monde de l’entreprise garantissant l’étanchéité des données.

De nombreux outils digitaux reposent sur les mêmes solutions d’identification, sur les mêmes plateformes techniques (l’omniprésence d’AWS dans l’écosystème des outils modernes est un autre sujet que nous traiterons dans notre billet : Comment une panne de 3 jour d’AWS a déclenché la 3ème Guerre mondiale). Une équipe interne disposant d’un écosystème relativement moderne sera en mesure d’interfacer une nouvelle solution avec ses outils existants sans grand effort.

Surveiller et punir

Une fois les tendances et solutions identifiées, une fois les outils pris en main, reste à suivre le quotidien, à mesurer, adapter et faire évoluer. Ici aussi, les agences aboient et la caravane digitale passe.

Les solutions de collecte et de présentation de données peuvent être classées en deux grandes familles : les boîtes à outils et les clic-clic. Les boîtes à outils vous laissent la main pour interfacer tout et n’importe quoi en concevant les tableaux de bord qui vous conviennent parfaitement. Citons uniquement Tableau comme exemple. Seconde famille, le clic-clic. Les solutions sont légion (Geckoboard, Bime Analytics, Klipfolio, …). Dans ce cas, une large bibliothèque de connecteurs conçus pour les principales solutions du marché vous permet de raccorder vos outils en quelques clics. Le tableau de bord final se construit généralement en glisser-déposer. Idéal pour briller en CODIR, COMEX, COPIL, … L’agence digitale pourrait faire valoir son expertise dans le choix et l’analyse des données. Un client pourrait répondre qu’il connait son métier et qu’un tableau de bord, à l’instar d’une carte d’état-major, on lui fait bien dire ce que l’on veut.

Même conclusion, circulez, y’a rien à voir, pas d’agence digitale ici non plus.

Concevons gaiement notre arrêt de mort

Imaginons alors un écosystème digital autonome, qui se nourrit, s’enrichit et se régule seul, ne demandant plus l’intervention de l’humain qu’à la marge.

Jetons tout d’abord un voile pudique sur deux domaines qui ont déjà, merci à eux, copieusement savonné la planche vers la sortie.

Avec la DCO, les enchères automatiques, le programmatique, la mise en place d’entrepôts de données intelligents, le media online a construit tout seul son Skynet et n’attend plus que le réveil des machines pour se faire gentiment raccompagner vers la maison de retraite.

Idem pour les campagnes digitales et les activités liées aux réseaux sociaux. L’adaptation et la déclinaison des messages se feront bientôt automatiquement depuis les mêmes solutions applicatives que les plans media. Une fois le master de la campagne configuré, le ROI renseigné, le choix des canaux, des points de contacts et des influenceurs se fera de lui-même, aidé par les données first, second et third party. Vogue la galère au doux rythme du tambour battu gaiement par le Golem que nous avons créé de la boue de nos prestations de conseil passées.
Au bout du compte, humer, adapter, mesurer, ces trois missions que nous avons décrites peuvent parfaitement s’automatiser, se piloter directement par un client.

D’abord les solutions de collecte de données, de mesure. Une fois mises en place, elles identifient les tendances à investir, les éléments de langage à faire évoluer dans un discours. Elles recommandent les communautés à toucher, les influenceurs à intégrer.

Au centre, l’écosystème en propre du client, alimenté et soutenu par du media qui se pilote seul. Concepts et idées créatives sont les seuls éléments qui résistent encore vaguement avant qu’une IA soit capable de trouver le bon concept et le bon claim pour une cible, aidée en cela par la première brique de collecte de données. Watson, d’IBM, a réussi à se faire passer pour l’assistant d’un professeur d’université en répondant aux questions des étudiants pendant 6 mois sans que ceux-ci ne s’en rendent compte.

En bout de chaine, les tableaux de bord et outils d’aide à la décision. Ils alimentent et font évoluer le système dans son ensemble.

Un client sélectionne les recommandations, applications, communautés à adresser et les ajoute à son écosystème. Routines, moulinette et autres rustines intègrent les données et solutions aux socles applicatifs existants. Toujours en veille, les tableaux de bord se mettent à jour en fonction des données et canaux activés.
Manque juste l’agence.
En fait non, plus besoin d’elle.

Résumons : plus besoin d’une agence digitale.

Est-ce bien nouveau ? Non. Les agences digitales sont en constante réinvention, ce qui rend ce métier passionnant. Il arrivera toujours aux algorithmes de se tromper dans leurs prévisions ou lectures. Les utilisateurs s’adaptent aux technologies qu’ils jugent inadaptées ou invasives. Certains, d’ailleurs, s’offrent le luxe insupportable de se déconnecter et de choisir précisément ce qu’ils souhaitent consommer une fois en ligne. Et quel tableau de bord automatisé aurait sauvé la boîte de Pétri qui donna à Flemming l’intuition de la pénicilline ? Investissons alors pleinement ce champ qui est propre à l’humain et que les agences digitales connaissent déjà bien : l’erreur.